ADEL ABDESSEMED
Drawing for Human Park
3 février au 27 avril 2008

Adel Abdessemed a pensé son exposition du MAGASIN comme un ensemble homogène de pièces entièrement nouvelles rassemblées sous le titre de Drawing for Human Park, qu’il développe dans la totalité des espaces d’exposition disponibles, l’espace central sous verrière, la Rue, et les galeries adjacentes. Dans ce parc humain, image symbolique d’un monde en pleine mutation, l’artiste dessine les contours de nouvelles pensées et de nouveaux concepts de circonstances à partir d’actions et de postures où, selon ses propres dires, « il saute, sursaute, bondit, rebondit, se tourne et se retourne ».

Une image réalisée lors de la production d’une de ces nouvelles pièces, Helikoptère, illustre le carton d’invitation de l’événement : suspendu par les pieds à un hélicoptère en vol stationnaire au-dessus de plaques de bois, l’artiste expérimente l’acte du dessin au rythme et au risque des secousses de la machine, du vent et des balancements de son corps.

Les tracés qui en résultent manifestent le dessin, non pas comme représentation idéale de la réalité, mais en tant qu’expérience de perception, d’action et de création. Le corps est aussi radicalement renversé dans sa verticalité, offrant non plus une vision rétinienne exclusive et dominante, mais une vision affectée par la perception brute d’un espace en devenir, d’un chaos à prendre à bras le corps et à bout de tracé. La figure de la spirale, des cercles plus ou moins concentriques qui suivent le déplacement de son corps au bout de son filin, est celle des figures du chaos. Le cratère de la bombe ou le tourbillon centripète qui conduit au néant et, dans le cas d’un tourbillon d’eau, à la noyade et à la disparition.

Ce dessin à la pierre noire est présenté sur plusieurs plaques de bois rassemblées en un format qui correspond à celui du Radeau de la Méduse de Géricault. Ce très célèbre tableau, fondateur du romantisme avec la Mort de Sardanapale de Delacroix, domestique l’horreur ; celle dont parle le personnage emblématique que joue Marlon Brando dans Apocalypse Now, une horreur qui a un nom et un visage et dont il faut se faire un allié pour survivre au chaos et y prospérer. Toutefois l’artiste est bien loin d’un tel romantisme, ou, comme il le dit lui-même, il est un romantique criminel.

Dans la pièce Don’t trust me, qui est composée de six vidéos de quelques secondes chacune, Adel Abdessemed capte, au Mexique, les brèves images de l’abattage de six animaux : un mouton, un cheval, un bœuf, un porc, un bouc et une biche. L’action est courante, très sommaire et les images qui en sont extraites sont rapides et retenues, sans effets, sans dramatisation. L’instrument du sacrifice, le marteau, est emprunté à la symbolique du pouvoir oublié d’une classe ouvrière disparue dans le même temps que l’idéologie qui prétendait la servir.

Le choix des animaux cite le calendrier traditionnel du dernier bastion du communisme, la Chine, dont les immenses bénéfices d’un développement économique sans précédent viennent à la rescousse du libéralisme pendant que les populations qui les produisent sont soumises à diverses formes de violence.

L’animal est tout à la fois la victime d’une horreur généralisée et le symptôme d’une différenciation/ressemblance que met aussi en exergue Anything can happen when an animal is your cameraman montrant la mariée au bras d’un gorille.

Messieurs les Volontaristes est un cercueil que l’artiste dessine dans l’espace à une échelle monumentale, 18 sur 7 mètres, à l’aide de tubes de métal qui matérialisent ses seules arêtes. La figure du cercueil suggère évidemment celle du corps mort, mais aussi celle de la fin des utopies dans l’ère du libéralisme triomphant créateur d’un nouvel ordre mondial abandonné à l ‘économie. Dans ses premières intentions, le cercueil a été pensé comme l’habitacle funéraire de l’une des pièces les plus importantes d’Adel Abdessemed, Habibi.

Pour son exposition au MAGASIN, Adel Abdessemed souligne sans artifice l’identité du lieu, une ancienne usine, en recouvrant l’ensemble des murs de son espace central avec du papier kraft d’emballage. En pendant, Also sprach Allah montre un dessin et une vidéo qui documente sa production. L’action filmée de l’artiste sur un tapis qui écrit cette phrase pendant qu’il est projeté dans les airs par une dizaine de personnes débouche sur la production et la présentation de ce texte dessiné. L’objet tapis qu’il présente est de l’ordre du passage, du transit d’un point à un autre sans avoir de point d’origine clairement identifié. Il est comme l’avion ou le bateau des voyages qui désoriginent les points cardinaux de leurs parcours.

Also sprach Allah ou l’étoile en matière végatale de Elle est cela font table rase des différents systèmes de représentation du monde qu’elles démystifient. L’étoile de Elle est cela trace pour différencier. A l’instar du vampire, chanteur d’opéra de la vidéo Trust Me dont la partition, traçage géographique, enchaîne très rapidement quelques lignes mélodiques compressées de 7 hymnes nationaux (Russie, Angleterre, USA, Allemagne, Algérie, Brésil, France et Internationale). 

Toutes les notions évoquées se recoupent, s’entrecroisent, se tressent en un ensemble où faire le point devient impossible. Même si chacune des parties de la tresse est identifiable et repérable dans son parcours au point de jeter les bases d’une possible construction de sens, le tout se retourne comme un gant en une perte du dessin d’origine. Telle mère, tel fils, l’œuvre la plus importante de l’exposition, de plus de vingt mètres de longueur, tresse les fuselages reconstruits de trois avions dont les cockpits et les queues d’origine ont été conservées.

Ce nœud d’avions, de véhicules de voyages d’un point de départ à un point de retour, signifie bien la perte d’origine que porte la globalisation. Il rend aussi explicitement hommage à un autre mode de productivité que Adel Abdessemed identifie à la figure de sa mère, à sa capacité créative à rassasier ses enfants quel que puisse être le niveau de vie du moment du groupe familial, et quels que puissent  être les matériaux et les outils disponibles. Le point natif d’origine serait ainsi opposé à la perte que porte la mondialisation.

A l'occasion de Drawing for Human Park, le Magasin publie un livre qui réunit un ensemble de textes théoriques et critiques sur le travail d'Adel Abdessemed. Parallèlement à l'exposition, parution d'une monographie consacrée à Adel Abdessemed, Power to act. Le texte de Larys Frogier analyse en détail chacune des œuvres produites par l’artiste entre 1994 et 2008, revisitant des liens (in)attendus avec l’histoire, l’art – art minimal, performance, art féministe… – et met à l’épreuve certaines théories de l’art après le modernisme.