Communiqué de presse

AUTO REVERSE 2
23 juin – 8 septembre 1996

Le MAGASIN présente la deuxième partie du projet Auto Reverse conçu par Stéphanie Moisdon Trembley comme un espace multiple de réflexion, d'exposition et d'écriture.

Ce projet se structure autour d'un outil et instrument de regard, la vidéo, ses pratiques, ses extensions artistiques, sociales, critiques et cliniques. Espace de trafic et de circulation entre les artistes, les spectateurs et différents domaines de recherche, cette exposition se présente sous la forme d'un laboratoire ouvert à toutes sortes d'altérités, d'interactivités.
Des premières expérimentations des années 1970 aux dispositifs actuels des jeunes artistes, Auto Reverse raconte, à travers le choix d'une quarantaine de dispositifs, bandes vidéo, dessins et installations sonores, l'histoire partielle de vingt ans de création et de pensée sur les rapports entre l'homme et la science, l'homme et la technologie.

LES ARTISTES
Marina Abramovic, Absalon, Vito Acconci, Hanspeter Ammann, Joël Bartoloméo, Vanessa Beecroft, Gerd Belz, Peter Campus, Michael Curran, Yon Duyvendak, Dominique Gonzalez-Foerster, Douglas Gordon, Dan Graham, Marie-Ange Guilleminot, Mona Hatoum, Lothar Hempel, Joan Jonas, Elke Krystufek, Marie Legros, Urs Lüthi, Matt Mullican, Bruce Nauman, Kristin Oppenheim, Charlemagne Palestine, Daniela Pellaud, Pipilotti Rist, Radio Mentale, Josef Robakovski, Georgina Starr, Imogen Stidworthy, Sam Taylor Wood, Gillian Wearing, Jane et Louise Wilson.

Pensée initialement comme une pièce en trois actes, trois chapitres distincts et qui se répondent néanmoins, Auto Reverse se poursuit au Magasin, avec cette fois-ci, l'exposition des dispositifs et créations des artistes.
Si le séminaire a permis de questionner les fondements du projet lui-même, l'exposition offre au spectateur la possibilité de faire l'expérience physique et mentale de ces multiples fictions, d'en repousser les limites, de les habiter, d'y inventer de nouvelles aires de circulation. De s'infiltrer ainsi entre les formes hypnoïdes de Matt Mullican, de Daniela Pellaud ou des soeurs Wilson, les gros plans hallucinés et mélancoliques de Vanessa Beecroft, les figures extatiques de Marie-Ange Guilleminot ou les images compulsives de Sam Taylor Wood ou, Douglas Gordon, les autoportraits plus ou moins différés de Absalon, Vito Acconci, Joël Bartoloméo, Elke Krystufek ou Marie Legros, les voix lancinantes de Kristin Oppenheim ou les rumeurs obsédantes de Radio Mentale, les confessions de Gillian Wearing, les stratégies doubles de Urs Lüthi, Peter Campus, les dispositifs cybernétiques de Dan Graham, images d'enfermement de Bruce Nauman et enfin de s'arrêter peut-être, se coucher, s'aimer en réalité ou en esprit dans les chambres à demi closes de Gianni Motti, Hanspeter Ammann ou Dominique Gonzalez Foerster.

Un numéro spécial de la revue Chimères, qui est à considérer en soi comme un troisième espace, viendra boucler momentanément ce projet de rencontres. Tout simplement parce qu’il est de la nature même de ce lieu d'écriture de recueillir et d'accueillir les individus ou les groupes qui cherchent sans cesse à renouer avec une forme d'inventivité première, désaliénée des discours scientifiques et spécialisés. Des groupes ou des individus qui pensent toujours au singulier, et se perçoivent eux-mêmes dans un mouvement non stable, non contrôlé, sans cesse en devenir.

1976, le texte de Rosalind Krauss, Video : The Aesthetics of Narcissism, désigne de façon presque manifeste la vidéo comme nouvelle esthétique du narcissisme.
À travers les premiers dispositifs d'artistes comme Dan Graham, Bruce Nauman, Vito Acconci ou Peter Campus, on voit en effet émerger dès le début des années 1960, un mouvement fort d'expérimentation autour de cette nouvelle technologie.
L'artiste prend conscience des modes de reproduction et des rapports humains produits par les techniques de son temps et les rend visibles. La technologie n'a d'intérêt pour ces artistes, que dans la mesure où ils peuvent mettre en perspective ses effets, au lieu de la subir en tant qu'instrument idéologique. L'art n'exerce alors sa fonction critique vis-à-vis de la technique qu'à la condition d'en déplacer sans cesse les enjeux.
Au moment même où se déroulent ces expériences, la vidéo est déjà l'instrument d'une autre théâtralité. Intégrée rapidement dans les structures de différents champs de recherche, ceux de la science, de l'armée, des institutions, de la psychiatrie, de la clinique en général, elle intervient partout où il s'agit de produire une image de soi comme une image de l'autre. Il s'agit de repenser les outils de communication, de contrôler ou de surveiller, partout où il est nécessaire de produire de l'interactif, du désir, des courts-circuits, des flux, des fluides, des images en devenir de l'homme et de la machine.

1996, si loin, si proche de l'utopie des premiers temps, en direction des réseaux de communication virtuelle et autres autoroutes imaginaires. La vidéo s'est constituée et imposée en vingt ans comme l'une des prothèses de vision les plus couramment utilisées.

Si les artistes se sont d'abord concentrés sur ce qu'elle a d'irréductible (l'instantanéité, l'effacement, la rémanence, le feed back), sur des questions théoriques de spécificité et de légitimité vis-à-vis des autres médiums (le cinéma, la photographie), on perçoit aujourd'hui combien son apparition a considérablement modifié le rapport des artistes et des individus au monde. Les modes de représentation et de production du subjectif en ont été transformés. La vidéo a ouvert des brèches sur d'autres possibles. En vingt ans, elle est passée par bien des phases : des premiers essais et performances techniques au formalisme froid des années d'hiver.
Aujourd'hui à nouveau, une autre génération d'artistes utilise ses potentialités pour réactualiser les premiers dispositifs interactifs des stratégies productives qui s'appuient sur un rapport intensif et extensif à l'autre. Ensemble, ils font la promesse d'un lieu de confrontation où les rôles actifs/passifs s'interchangeraient, supposant de nouveaux intervalles désirants entre le spectateur, l'artiste et son double.
Forts des expériences passées, ils utilisent un vocabulaire axé sur le virtuel, le réflexif, le narcissisme, les doubles notions d'altérité/identité , ouvrant des alternatives à la mélancolie moderne. Reproduisant parfois les gestes archaïques de leurs prédécesseurs, ils appréhendent leur propre image sans affect ni ressentiment, enfin émancipés de l'histoire et de la question du médium. Loin de tout symbolisme ou nostalgie, ils explorent les signes de la société contemporaine au centre de leurs mythologies personnelles.

Auto Reverse est le projet de création d'un lieu multiple pour accueillir et habiter ces différents scénarios. C'est un espace d'interaction, de trafic, de transaction entre l'art et la science, l'art et la machine, l'art et le monde. Un lieu qui, se saisissant de la vidéo comme prétexte ou médium, se ramasse sur ces vingt ans de création et de confrontation entre les individus, leurs protections, leurs représentations. Espace ouvert à toutes productions de subjectivités, il réunit tous ceux, critiques, artistes, médecins, philosophes, psychiatres, fous ou rêveurs qui travaillent, réfléchissent, s'agitent au centre ou à la périphérie de ces questionnements. Que peut un corps, que peut une image de soi ou une image de l'autre, que peut encore cette image quand tout est supposé avoir déjà été fait, déjà défait?

Stéphanie Moisdon Trembley