Communiqué de presse

Alighiero e Boetti
“En alternant de 1 à 100 et vice versa”
“De bouche à oreille”
Exposition du 28 novembre au 27 mars 1994

Alighiero Boetti vit et travaille depuis 20 ans à Rome. Ses débuts dans sa ville natale, Turin, coïncident avec la naissance de l'Arte Povera, dont lui-même apparaît incontestablement aujourd'hui, l'un des maîtres fondateurs. L'expérience strictement Arte Povera de Boetti a été très brève. Son espace expressif s'est vite concentré sur la surface plane (avant tout, la feuille de papier), sur laquelle il a transcrit et développé jusqu'à épuisement de tout leur potentiel, différents "processus mentaux visualisés" (selon le titre de la très pertinente collective de Lucerne qui en 1970 marqua les débuts de l'Art Conceptuel).

Depuis ces temps héroïques, tous les processus et rythmes mentaux, musicaux, mathématiques, cosmiques et autres, que Boetti a ainsi mis "à plat", sont étonnamment variés. Cette variété concerne les mécanismes conceptuels mais tout autant le support matériel, ou corps de l'oeuvre. Signalons quelques étapes exemplaires : en 1969 Cimento dell'armonia e dell'invenzione (titre vivaldien) affronte en noir et blanc sur papier quadrillé le développement de systèmes logiques simples, jusqu'à leur conséquence extrême et surprenante en 1972 Mettere al mondo il mondo explore le potentiel d'extension colorée du stylo à bille bleu standard, et un nouvel alphabet ; avec les broderies Ordine Disordine, 1971, Boetti étend à la souplesse du tissu et du fil le champ de ses aventures entre signe, sens et sensualité de l'art il renforce également un autre aspect de sa méthode : la collaboration entre celui qui conçoit le projet et d'autres personnes qui, chargées de réaliser l'objet, en marquent le destin concret et font oeuvre commune avec l'artiste.

Les deux oeuvres maîtresses présentées au MAGASIN représentent, dans une maturité parfaitement dominée, le couronnement de ce processus. Il s'agit dans les deux cas d'une véritable "mise en scène", convergence opérative au sens plus cinématographique qu'orchestral du terme, comme le souligne Boetti lui-même : le chef d'orchestre, dit-il, domine de sa main un groupe homogène de musiciens, le cinéaste, lui, tous les corps de métier des techniciens.

Pour réaliser En alternant de 1 à 100, Boetti a fait appel aux lieux mêmes de l'apprentissage de la création : 30 écoles d'art françaises, plus 20 professionnels de l'art. La participation de tous ces collaborateurs a porté sur le remplissage progressif de grilles dont il s'agissait de noircir les cases (100 cartons dans chacun des 50 lieux). Boetti a seulement donné les règles du jeu : la progression quantitative, un carré noir, puis deux, puis trois carrés noirs (jusqu'aux 99 du dernier échiquier où l'apparition de l'unique carré blanc suggère un nouveau point de départ, en sens inverse, comme lecture de la croissance du blanc!). Le système proposé est à la fois un code rigide et la quasi infinie liberté de moduler les formes.

Le "jeu" de planches ainsi dessinées en noir et blanc sur cartons a été ensuite distribué dans une autre "communauté" active, celle des tisserands de kilims au Pakistan, qui en ont fait 50 tapis. Tapis de rythmes de méditation, tapis magiques. Le catalogue de l'exposition est consacré à ces kilims, avec des textes de Adelina von Fürstenherg, Giovan-Battista Salerno et Angela Vettese.

De bouche à oreille est une autre oeuvre chorale de Boetti, centrée sur le mécanisme d'une élaboration collective, étalée dans le temps et dans l'espace. Les partenaires ici sont les postiers de France, la Poste. Cette oeuvre de dimensions spectaculaires, a été réalisée expressément pour l'exposition au MAGASIN. Elle sera exposée en 1994 à Paris au Musée de la Poste qui lui consacrera une publication.

De bouche à oreille fonctionne selon une progression numérique, une suite mathématique de carrés : 1 timbre sur 1 enveloppe, 4 timbres sur 4 enveloppes (2x2), puis 9 timbres sur 9 enveloppes (3x3), jusqu'à 121 (11x11), soit un total de 506 enveloppes et 39976 timbres! Le système choisi constitue un envahissement progressif de l'espace : espace du timbre sur l'enveloppe, espace-trajet parcouru par la lettre (qui contient toujours un dessin, secret), enfin espace du lieu d'exposition où seront mises à plat et en ordre toutes les enveloppes, ainsi que les dessins finalement révélés. La progression numérique est en outre modulée sur la permutation : par exemple, les 4 timbres (évidemment différents entre eux) permettent 4 permutations possibles, une sur chacune des 4 enveloppes, etc...

Cette oeuvre est un immense carnet de voyage dont les dates et la scansion seront mémorisées grâce à chaque tampon postal, ainsi que les lieux de départ qui constitueront tout un parcours géographique aboutissant toujours au Centre National d'Art Contemporain de Grenoble - le MAGASIN.

Enfin, comme toute création boettienne, l'oeuvre postale joue entre la nécessité logique d'un système et les risques du hasard : avec le jeu aléatoire de l'oblitération, un tampon publicitaire,  l'annotation manuscrite du facteur ou l'averse qui risque de diluer l'encre ou de décoller un timbre..