Communiqué de presse

CARAMBOLAGE II
8 octobre 1994 – 1er janvier 1995

L'exposition CARAMBOLAGE II organisée au MAGASIN, réunira 5 artistes (Francesc Abad, Sylvie Bélanger, Giorgio Vicentini, Jacques Vieille, Elisabeth Wagner) dont le travail est représentatif de l'identité culturelle de leur région, du contexte historique et social.

Les «Quatre Moteurs pour l'Europe» sont au centre des relations internationales que la Région Rhône-Alpes a tissées avec d'autres partenaires européens de même nature. Par cette coopération interrégionale, les Présidents des quatre régions affirment leur volonté de participer au processus d'unification européenne. L'originalité de cette entente, exemple unique en Europe, réside dans le caractère non frontalier des régions, désireuses de regrouper leurs aspirations communes. La signature du mémorandum en 1988 a fixé les objectifs prioritaires : l'amélioration des infrastructures de communication et de télécommunication, l'approfondissement de la coopération technologique et des échanges dans le domaine de la recherche. Les «Quatre Moteurs» ont peu à peu élargi leur coopération au domaine aujourd'hui fondamental de la culture, et plus particulièrement des arts plastiques. En 1990, la signature d'une déclaration de partenariat entre l'Ontario et les «Quatre Moteurs» a instauré une série d'actions dans plusieurs domaines, dont la Biennale des «Quatre Moteurs». La mise en place de structures, les échanges d'expériences et les programmes d'actions communs ont progressivement constitué un véritable réseau de coopération interrégionale opérationnel que la Région Rhône-Alpes a consolidé dès 1988 avec l'installation d'antennes à Stuttgart, Barcelone et Milan.

Il y a deux ans, le coup d'envoi de CARAMBOLAGE a été effectué à Baden-Baden. Le moteur est en marche et les premiers fondements d'une biennale des régions partenaires sont aujourd'hui posés. Cette singulière confrontation de personnes, d'oeuvres, cet échange continu entre les différents responsables culturels des régions, ont permis d'envisager l'actuelle exposition à Grenoble comme un véritable événement culturel. Pour cette deuxième édition de la biennale des 4 moteurs + Ontario, la Région Rhône-Alpes accueille les cinq Régions, à nouveau réunies. L'échange de réflexion artistique s'est prolongé, la «fonction de pont» pour un dialogue culturel s'est avérée favorable. Mais plus qu'un dialogue, c'est une coopération au niveau institutionnel et personnel - une forme active de compréhension, une interaction qui laisse des traces visibles.

CARAMBOLAGE II est une exposition non-thématique, laissant entière liberté d'expression aux artistes. Ils travaillent sur place, pendant l'été, et réalisent des oeuvres spécifiquement pour le Magasin. Cette exposition permet de montrer la diversité de la création contemporaine par le biais de travaux utilisant des techniques très différentes et caractéristiques de l'identité de chaque région. S'instaure ainsi un climat favorable à l'échange interculturel. Un colloque, ainsi que des présentations de publications, de vidéos relatives à chaque région et aux artistes et institutions qu'elle abrite sont également prévus. Avec le colloque, «A propos de la nature», il s'agit d'ouvrir la réflexion et la critique sur les relations de l'homme et de l'artiste avec la nature. Cinq spécialistes, choisis parmi des architectes, poètes, sociologues, anthropologues participent à ce débat.

Quant à la prochaine rencontre, la Région Catalogne se propose d'ores et déjà d'accueillir la troisième édition dans la Ville de Barcelone, en 1996. Ainsi, le projet se poursuivra pour achever son cycle à la fin du siècle et du millénaire, après un parcours qui aura couvert la dernière décade. L'importance culturelle de cette entreprise est révélatrice de la volonté d'ouverture et de curiosité envers l'autre : la culture étant avant tout un catalyseur autour duquel s'articulent les rencontres au niveau humain, social et politique.

Catalogne
Francesc Abad est né en 1 944 à Terrassa près de Barcelone, où il vit et travaille.
D'abord peintre, il abandonne définitivement la peinture en 1971 et part à New York où il établit un premier contact avec l'art minimal et l'art conceptuel, contact décisif et déterminant dans la suite de son travail. Il adopte alors une attitude radicale et idéologiquement définie vers une position critique au point de vue politique et social. Il travaille dans le «body-art» et le «land-art» ; la Nature,, ainsi que la relation entre l'homme et la nature deviennent une des préoccupations principales et constantes de son travail. Plus tard, il oriente ses recherches vers la réflexion philosophique, et en particulier vers les rapports entre l'art et la science.
A l'aide d'images, d'objets, de textes, de matériaux provenant de déchets industriels et urbains ainsi que d'éléments naturels, il construit des installations proposant au spectateur une réflexion et un dialogue autour des problèmes de la relation entre l'homme et son contexte, la nature, la culture, la violence et la destruction. Il considère le paysage comme le lieu où l'homme peut trouver son équilibre personnel. Solo cum Solo, l'installation de Francesc Abad au Magasin est un travail sur la solitude, la mémoire, tenant compte du contexte géographique, historique et social de notre région. Il utilise le support photographique, la vidéo ainsi que des objets quotidiens.

Ontario
Sylvie Bélanger, née au Québec en 1951, vit et travaille à Toronto et dirige également le Graduate Program à l'Ecole des Arts Visuels, Université de Windsor (Canada).
Elle s'intéresse à la relation entre le corps humain et les technologies avancées, intégrant la vidéo dans toutes ses pièces. Sylvie Bélanger nous interroge, se demande jusqu'où la machine peut devenir «humaine», avec toutes les répercussions philosophiques, morales et physiques qu'elle engendre sur nos vies. The Silence of the Body, 1994, qui sera montrée pour la première fois au Magasin, est une oeuvre en trois mouvements réalisés dans l'espace, à trois moments précis. Distincts et cependant liés, ces moments mettent en scène un corps humain, fragmenté, inerte et «objective». Ce travail fait partie d'une série comprenant d'autres travaux : Le délire du toucher (1993), Topologie des sens (1991-92) et Je vous salue (1991). The Silence of the Body fait apparaître l'effacement progressif des frontières entre le moi, l'objet et l'immatériel. Elle engage une réflexion sur le contrôle (présence de dispositifs de surveillance), la complicité humaine (le plaisir narcissique), et la notion «cyberféministe» fort discutée selon laquelle «l'espace cybernétique séduit certainement ses utilisateurs à travers l'accomplissement final du rêve patriarcal, abandonnant le corps même et flottant dans l'immatériel» (Sadle Plant, Variant, 1994). The Silence of the Body marque notre silence et le processus silencieux à travers lequel l'information technologique prend le contrôle. Il s'agit d'un monde que nous ne pouvons ni entendre, ni sentir mais où règne le regard.

Lombardie
Giorgio Vicentini, né à Varèse en 1951, où il vit et travaille.
Il se consacre à la peinture à partir de 1974, et se distingue parmi les jeunes artistes de Lombardie, pour sa capacité d'engagement, pour la cohérence de son langage, pour son travail qui réunit la recherche intellectuelle et esthétique, pour sa personnalité expressive et la volonté constante d'approfondir sa maturité professionnelle. Giorgio Vicentini creuse dans la matière jusqu'à trouver le moment intellectuel de la rencontre entre influence, suggestion et peinture. Sa peinture vit de vibrations ou variations d'accords comme une partition musicale. Dans l'esprit et la finesse d'un «concerto», on trouve l'éloge de l'esthétique. Le rappel et l'allusion à l'espace lient virtuellement la peinture et le monde de Vicentini à l'architecture et à la sculpture, pour s'étendre intellectuellement à une vision générale qui embrasse histoire, culture, socialisation. La pièce que l'artiste réalise pour le Magasin a pour titre «La terre promise». C'est un voyage dans la fantaisie, entre futur et histoire, rêve et réalité, un dialogue public en hommage aux maîtres de l'histoire de l'art qui comprend 20 tableaux peints sur des plans inclinés, comme autant de témoignages, de pierres tombales, dont une dédiée au «peintre inconnu». L'installation se poursuit à l’intérieur d'une chapelle construite pour l'exposition, lieu sacré, symbole de l'imperturbabilité de l'art, de la continuité au-delà du temps. La terre promise est la promesse de l'histoire.

Rhône-Alpes
Jacques Vieille, né à Baden-Baden en 1948, vit et travaille à Clessé, et enseigne â l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon.
Il est apparu sur la scène artistique française à la fin des années soixante-dix avec des sculptures qui utilisaient des formes particulières du bois (formes naturelles troncs, branches ; formes industrielles : liteaux, briquettes, planches, linoleum ; formes iconiques : papier sérigraphié d'un motif de branchage ; objets finis tréteaux, tables, corbeilles, cageots, paniers). Depuis ces premiers travaux, Jacques Vieille semble «mettre en espace» des articulations particulières entre la nature et l'architecture, nature et architecture étant considérées dans leurs dimensions historiques, culturelles, symboliques autant qu'expressives. Ainsi la symbolique de l'origine naturelle de l'architecture (le mythe fondateur de la «cabane primitive»), la persistance des formes naturelles dans les produits manufacturés contemporains (le balai en branches de bouleaux, le faux-bois, les ferronneries en épis). Ainsi, la notion de mise en perspective (ou en ordre) de l'espace dans l'architecture comme dans la nature (le jardin). Ainsi la confrontation entre le naturel et le manufacturé, le sauvage et l'ordonné, le souple et le dur. Au Magasin, dans l'espace de la «rue», Jacques Vieille va édifier selon la forme d'un zigzag un mur continu en carreaux de plâtre blanc qui va s'élever progressivement jusqu'à la hauteur de cinq mètres et briser la continuité de la «rue». Comme un geste décisif et impérieux (le geste architectural), son œuvre va donc oblitérer l'espace et transformer la façon dont nous avons l'habitude de le considérer en installant une nouvelle dimension de référence, une nouvelle place pour le regard, un nouveau cheminement pour le corps.

Bade-Würtemberg
Elisabeth Wagner, née en 1954 à Neuenstadt sur Kocher, vit et travaille à Stuttgart et enseigne à l'Ecole des Beaux-Arts de Hamburg.
Elle utilise surtout des matériaux comme le papier, le carton et le papier-kraft. Ses oeuvres tridimensionnelles font partie intégrante de l'espace, et matérialisent la fragilité et l'ambiguïté des objets quotidiens en perte d'identité. Fruits, animaux, poêles, cuvettes ou couvercles produisent un effet magique dans lequel ils amènent le spectateur au-delà de leur apparence immédiate, vers un terrain inconnu de leur existence. Au Magasin, Elisabeth Wagner présente des pièces en forme de tuyau faisant face à un mur de boîtes en papier empilées. Les tuyaux, que l'artiste appelle aussi «gorges», possèdent, pour certains d'entre eux, des caractéristiques animales qui s'apparentent un peu au crocodile. Leurs grandes ouvertures des deux côtés absorbent l'espace, le compriment, puis le restituent, transformé.
Le mur a une position intermédiaire paradoxale : il donne d'abord l'impression d'une architecture archaïque, démentie tout de suite par la vulnérabilité et la possibilité de déformation potentielle du papier. Les boîtes empilées les unes sur les autres ne correspondent en aucun cas aux besoins fonctionnels d'une architecture réelle, mais développent leur propre individualité. Les boîtes et les «gorges» dialoguent de manière muette et visuelle, communiquent à des niveaux acoustiques et spatiaux. L'espace comprimé par les «gorges» se trouve ensuite réfléchi dans les boîtes entrouvertes comme un écho. Accentué par l'aspect fragile papier, le spectateur perçoit un dialogue silencieux purement visuel, qui le laisse sans indice sur le contenu.