Communiqué de presse
«Dramatically different»
Commissaire : Eric Troncy
Exposition du 26 octobre 1997 au 1er février 1998
John Armleder, Angela Bulloch, César, Sylvie Fleury, Katharina Fritsch,
Felix Gonzalez-Torres, Dan Graham, Duane Hanson, Swetlana Heger & Plamen
Dejanov, Jim Isermann, Sarah Jones, Pierre Joseph, On Kawara, Mike Kelley, Jeff
Koons, Bertrand Lavier, Louise Lawler, Larry Mantello, Allan Mc Collum, Paul
Mc Carthy, Sarah Morris, Ugo Rondinone, Tobias Rehberger, Alain Séchas,
Haim Steinbach, Lily van der Stokker, Andy Warhol
Dramatically Different tente de se tenir à bonne distance du modèle
dogmatique et prévisible de l'exposition thématique pour lui préférer
une entreprise ambiguë qui mêle réflexion critique et passion
aveugle, objectivité et subjectivité, en installant la possibilité
de l'accident.
En ce sens, Dramatically Different est plus proche du modèle du labyrinthe,
qui invite le spectateur à se perdre dans une gravitation autour de la
notion anglo-saxonne de "display", littéralement agencement,
étalage.
Ni preuve par ailleurs discutable de la "mercantilisation
du monde", ni symptôme de "l'esthétisation du monde"
(pour reprendre les termes de Jean Baudrillard), ces stratégies d'agencement,
qui se fondent aussi sur la sémiurgie exponentielle des choses et des
actes, et l'aptitude quasi mécanique du spectateur à la décoder,
prennent d'autant plus de sens aujourd'hui que les artistes ont rediscuté
certains acquis de l'œuvre provenant des décennies précédentes.
- Son autonomie en premier lieu, qui, pour autant qu'elle demeure certaine,
n'est plus systématiquement souhaitée et, en tous cas, aucunement
une condition sine qua non;
- Sa fonction décorative, qui la conduit à fréquenter les
aires jusque-là méprisées du design;
- Sa potentialité à générer du plaisir, aussi dans
sa possession, sa manipulation, sa contemplation ;
- Son statut non méprisable de bien de consommation ;
- Sa sacralisation, qui pour autant la range aux côtés d'autres
stimuli intellectuels et moins intellectuels, d'autres créations disons,
d'autres langages jusqu'alors supposés vils ;
- Les nécessités de sa présentation, qui ne saurait recourir
désormais systématiquement au white cube ;
- Sa gravité, qui pour être effective n'a plus à en endosser
le costume ;
- Son caractère politique, qui ne saurait s'appuyer exclusivement sur
un principe de dénonciation ;
- Le caractère éminemment intime de sa relation avec le spectateur
;
Dramatically Different n'est pas une collection d'œuvres qui viendrait
conforter ces nouvelles dispositions de l'œuvre d'art formulées
par des artistes d'ailleurs pas forcément jeunes, si l'on veut bien explorer,
par exemple, l'univers d’Andy Warhol.
C'est plutôt une "exposition d'œuvres" déjà
existantes, empruntées à quelques exceptions près à
des collections publiques et privées en Europe et aux Etats-Unis, qui
tient compte et, finalement, profite, de cette rediscussion du comportement
qu'on peut avoir avec des œuvres d'art. Rediscussion qui prend appui
sur des expériences d'artistes, d'ailleurs eux-mêmes pas forcément
présents dans l'exposition.
Entre autres : pour "Les Ateliers du Paradise", à Nice (1990),
Pierre Joseph, Philippe Parreno et Philippe Perrin avaient conçu un cadre
de vie temporaire qui incluait des œuvres d’Angela Bulloch, d’Andreas
Schulze, du mobilier de Ron Arad,… Rirkrit Tiravanija, pour son
exposition au Consortium (1996) utilisait les œuvres de la collection
comme décor de sa propre exposition, dans un usage qui ne tenait pas
forcément compte de leurs conventions de présentation. "Moment
Ginza" de Dominique Gonzalez-Foerster, présenté au Magasin
à Grenoble cet été, évoquait une avenue de Tokyo
en se présentant sous la forme d'un espace urbain occupé par des
œuvres de Maurizio Cattelan, Felix Gonzalez-Torres, etc., qui y assumaient
une double fonction: décorative et symbolique.
Quoi de plus normal en somme que, après avoir postulé l'œuvre
non plus comme produit fini conçu antérieurement mais comme dispositif
ouvert et inachevé sans la présence sinon l'intervention
du spectateur, elle intègre et revendique aussi son statut de mobilier
symbolique et favorise son usage décomplexé.
L'expérience Dramatically Different se déroule tout au long d'un
parcours chaotique dont chaque salle marque une étape, changeant sans
ménagement de niveau de signification, entraînant le spectateur
dans une réflexion accidentée et l'invitant, pourquoi pas,
à réévaluer son propre comportement face à l'œuvre,
dans l'œuvre.
Eric Troncy