"Vraiment Féminisme et art"
du 6 avril au 25 mai 1997
Les Galeries
À cette occasion, Laura Cottingham, critique d'art
et commissaire d'exposition américaine, a réuni une trentaine
d'artistes contemporaines et rassemblé des oeuvres du début
des années 70 et de la seconde moitié des années
90. Documents historiques et oeuvres d'art (vidéos, films, photographies,
performances, sculptures, peintures et installations) seront exposés
conjointement.
Les écrits théoriques et l'activisme issus du mouvement
de libération des femmes né à la fin des années
60 et au début des années 70 ont permis aux femmes de prendre
conscience de leur identité et de leur poids historique et politique.
Si les mouvements de libération des femmes ont vu le jour dans
les grands centres urbains des pays les plus fortement industrialisés
- l'Angleterre, le Canada, le Danemark, l'Allemagne, le Japon, l'Italie
et l'Espagne, entre autres -' la France et les États-Unis ont entretenu
des rapports privilégiés en raison de l'influence décisive
que Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, publié
en 1949, a exercée sur la naissance et l'orientation du mouvement
féministe américain.
Un extraordinaire mouvement artistique est apparu aux États-Unis
en réaction et parallèlement au mouvement de libération
des femmes.
Le "American Feminist Art Movement" a fondé de nouvelles
écoles, ouvert des galeries alternatives sous forme de coopératives,
lancé de nouveaux magazines, milité avec succès contre
la discrimination sexuelle dans les musées et les galeries, et
créé une nouvelle esthétique pour apporter le regard
de la conscience féministe dans l'art. En France et en Europe,
la transformation du féminisme en une pratique artistique a bien
eu lieu, même si le nombre de femmes artistes dans les années
70 a été sans commune mesure avec le mouvement considérable
qui a galvanisé les États-Unis. Les oeuvres des féministes
de la première génération se concentrent sur l'identité
et l'expérience féminines, tentent de réhabiliter
le "travail des femmes" (y compris les travaux domestiques et
l'artisanat), explorent la sexualité féminine, remettent
en cause les stéréotypes sexuels et mettent à l'honneur
l'histoire des femmes.
À l'invitation de Yves Aupetitallot, directeur
du MAGASIN, Laura Cottingham a rassemblé des oeuvres
de Martine Aballéa, Chantai Akerman, Ghada Amer, Nancy Angelo et
Candace Compton, Eleanor Antin, Polly Apfeibaum, Dyke Action Machine !,
Mary Beth Edelson, Nicole Eisenman, Géraldine Gallavardin, Nicole
Gravier, Françoise Janicot, Mierle LadermanUkeles, Natacha Lesueur,
Lea Lublin, Cynthia Maughan, Susan Mogul, Tania Mouraud, Nicola, Lorraine
O'Grady, Orlan, Gina Pane, Adrian Piper, Martha Rosler, Dorothée
Seiz, Hannah Wilke, Womanhouse et Nil Yalter - Nicole Croiset - Judy Blum.
La salle documentaire rassemble certaines Archives du
Mouvement de Libération de la Femme (1970) à travers un
choix de tracts, de livres, de reflets filmés de manifestations
féministes, de photographies, de manifestes, d'affiches, de badges
politiques et d'autres objets historiques qui sont les témoins
des mouvements de libération des femmes français et américains
des années 70, comme ce premier reportage télévisé,
diffusé nationalement, de la manifestation féministe "No-More-Miss-America",
en septembre 1968 à Atlantic City, New Jersey (Etats-Unis) et de
la marche sur la 5e Avenue à New York en 1972 ; pour la France,
la salle documentaire présente un reportage de la Manifestation
de 1972 à Bobigny et de la Manifestation pour l'avortement en 1979
à Paris.
Description de quelques unes des artistes présentées
dans l’exposition
Dyke Action Machine!
La synthèse entre l'esthétique et la politique qu'ont tentée
d'effectuer les artistes proches du mouvement artistique féministe
dans les années 70 a donné naissance à différentes
stratégies artistiques dans tous les mediums visuels. L'activisme
qui informait les fondements des mouvements de libération des femmes
a inéluctablement fait de l'affiche un support populaire (qu'on
trouve, notamment, dans les oeuvres de Mary Beth Edelson et de Hannah
Wilke). Il a pour héritiers les affiches de Dyke Action
Machine !, un collectif créé à New York
en 1991.
En récupérant les slogans des mass-médias et la publicité,
Dyke Action Machine ! représente la culture américaine
moyenne par des voies directes qui font l'apologie de la culture lesbienne
et s'en prennent à l'hétérosexisme de la société
américaine. Les affiches exposées dans "Vraiment"
étaient à l'origine placardées dans les rues de New
York - plus précisément sur les façades d'édifices
publics
Nicole Gravier
Les féministes des années 70 virent, dans la tradition visuelle
européenne qui cantonnait la représentation de la femme
dans des catégories restreintes - muse, mère, prostituée,
métaphore -, l'équivalent de la subordination politique
des femmes aux hommes. De nombreuses artistes des années 70 s'attachèrent
à redéfinir et remodeler la représentation de la
femme en modifiant, en critiquant, en rejetant et en retouchant les images
de la femme que véhiculent les beaux-arts et les mass-médias.
Les installations photographiques de Nicole Gravier présentées
dans "Vraiment" proviennent de deux séries différentes
qui datent de la fin des années 70 et qui comprennent une quête
féministe de l'identité féminine et - dans la série
intitulée "Publicité" - une critique féministe
de la publicité classique.
Natacha Lesueur
Avec l'émergence de la conscience féministe, les femmes
se mirent dans les années 70 à mettre en question la construction
du "féminin". En particulier les cosmétiques,
l'habillement féminin, la coiffure et d'autres signes de la "féminité"
apparurent comme des terrains de recherche esthétique appropriés
(voir Womanhouse, "Representational Painting" d'Eleanor Antin,
"Le Baiser de l'artiste" d'Orlan, etc.). Dans les années
90, l'oeuvre de jeunes artistes comme Natacha Lesueur
continue d'explorer les codes culturels de la féminité.
De même que les artistes des années 70 concentraient leurs
recherches sur leur corps, sur l'intérieur de leur corps ou sur
ce qui l'entoure, Natacha Lesueur se prend à la
fois comme sujet et comme objet de son art.
Tania Mouraud
La prééminence donnée à la subjectivité
et à l'expérience féminine est peut-être l'héritage
esthétique et socio-politique le plus marquant des mouvements artistiques
féministes. Dans ses oeuvres du début des années
70, Tania Mouraud explore les rapports de l'identité
féminine à travers le temps, l'espace et le lieu, comme
dans "People Call Me Tania Mouraud" (1971-1973) et "People
Call Me Claudia Calleux" (1971-1973). Dans "Can I Be Anything
Which I Say I Possess ?" (1971), Tania Mouraud se
penche sur les limites que la culture impose à l'autorité
et à la propriété féminine, tandis que les
organes génitaux de la femme sont au centre de "Rose..."
(1974) dans une représentation métaphorique qui force la
caméra à "voir" une vulve dans la rose.
Dorothée Selz
Dans les cinq diptyques exposés dans "Vraiment"
- et créés en 1973, bien que trois d'entre eux aient été
recréés à l'occasion de cette exposition -' Dorothée
Selz étudie les rôles visuels et sociologiques que
le système patriarcal attribue aux femmes. Chacun des diptyque
représente, à gauche, l'image d'une femme tirée d'un
magazine pornographique des années 70, tandis que, sur la droite,
l'artiste a recréé la même image avec des accessoires,
des dessins et la représentation de son propre corps. Pour souligner
la position ironique et critique de la représentation qu'elle donne
d'elle-même, Selz a fait encadrer de sucre coloré toutes
les images de "Mimétisme relatif". Parmi d'autres recherches
sur les représentations pornographiques classiques de la femme
qui datent du début des années 70 figurent, entre autres,
celles de Hannah Wilke et d'Orlan. Dans les années 90, la même
stratégie se poursuit dans l'oeuvre d'artistes telles que Ghada
Amer.