Press release (french)

PAUL-ARMAND GETTE
«Nymphe, Nymphaea et voisinage»
26 février – 21 mai 1989

Paul-Armand Gette est un artiste "autodidacte", amateur de botanique, d'entomologie, de sédimentologie... et surtout de petites filles. Amateur au sens strict, c'est-à-dire qu'il aime, qu'il a du plaisir à se pencher sur une moraine, à reconnaître au bord du chemin différentes espèces de plantes qu'il affectionne, à établir des observations concernant la température et le régime pluviométrique d'un lieu ou à admirer la bordure des chaussettes blanches sur les jambes d'une petite fille. Ce qu'il déteste par-dessus tout : les prétentions inouïes de la Science à la vérité et de l'Art à l'imaginaire.

Paul-Armand Gette, en effet, n'aime pas l'ordre établi, les systèmes mis en place par la société, et il s'acharne à les "troubler".
Paul-Armand Gette a une prédilection pour les lisières, qu'elles soient paysagères (orées, bordures, talus, rives, plages...), géologiques (moraines, loess...), sédimentologiques (galets...) ou qu'elles marquent la frontière entre l'enfance et l'adolescence (petites filles, jeunes filles...).
Lui-même se maintient dans une zone "trouble", aux confins de l'Art, de la Science et de la Morale.

Le regard de Gette est un regard disponible, rien n'est à exclure mais rien ne l'intéresse en particulier. C'est un regard égalisateur. Cette apparente indifférence, cette neutralité des choix de Paul-Armand Gette sont avant tout les instruments d'une volonté tenace : subvertir les codes et les règles qui régissent nos habitudes perceptuelles et culturelles.

Le regard de Gette est un regard disponible qui laisse disponible le regard de l'autre. Les propositions visuelles et sonores de Gette n'imposent rien ; surtout elles ne prouvent rien. Gette se méfie des images et plus généralement des dispositifs qui, sous prétexte de beauté, de vérité ou d'efficacité, dirigent le regard et donc l'imagination du spectateur sur les voies éculées de l'imbécillité et de l'ordre régnants.

Gette n'impose pas son regard, il donne à voir et à entendre quelques échantillons de temps et d'espace sous des formes très diverses : notes, relevés, lectures, photographies, dessins, vidéos, films, expositions, conférences, publications...
Il n'existe aucun mode d'emploi pour la lecture de ses propositions. Celles-ci ne tendent pas à fasciner ou à hypnotiser mais plutôt à distraire, c'est-à-dire à provoquer dérives et digressions, à déranger, à dissiper. Le regard que Gette pose sur le monde est destiné à distraire le regard de l'autre, à le distraire des règles et des normes. Comme une invitation au dérapage.

L'oeuvre de Paul-Armand Gette se dit et se lit en plusieurs sens, se déploie et s'organise sous diverses formes. Gette prend d'ailleurs un malin plaisir à faire varier les points de vue, dans ses oeuvres comme dans la mise en perspectives de ses oeuvres.

«Nymphe, Nymphaea et voisinage»

"La nomenclature binaire", hommage à Carl von Linné (1975), "Photographies", hommage à Charles Lutwidge Dodgson (Lewis Caroll) (1975), "Nymphaea Alba L.", hommage à Claude Monet (1976).

Ces hommages dévoilent les sources du travail de Paul-Armand Gette. Ils suggèrent le cadre des références dans lequel l'oeuvre évolue. Les nymphes sont là, présentes dans chacun.

L'exposition au Magasin et le catalogue qui l'accompagne tentent de tirer un fil rouge et tendu à travers l'oeuvre profuse de Paul-Armand Gette. Ce fil rouge, Alice et les nymphes nous le donnent.

Le commerce que Paul-Armand Gette entretient avec les nymphes ne date pas d'hier.

Celles-ci sont présentes tout au long de son oeuvre. Déjà en 1960 avec le "Tombeau pour une nymphe", puis dans les "Lettres", dans les agrandissements d'insectes, dans les cristaux. C'est en 1970, avec Nathalie, qu'apparaît pour la première fois dans le travail de Gette une nymphette (Gette préfère dire "petite fille"). De 1979 à 1983, elle occupera prioritairement l'espace de son art. A partir de 1983, l'attitude de Gette envers ses modèles subit une importante évolution qui l'amène à franchir un interdit qu'il s'était jusqu'ici donné à lui-même. En effet, il ne se contente plus de photographier (avec leur consentement) ses modèles, il les touche, ou plus précisément, il les photographie et les touche dans un même mouvement. Cette transgression, ni arbitraire ni gratuite, signifie un changement quant à la nature de ses modèles : le passage du "non-toucher" au toucher marque aussi le passage du modèle petite fille au modèle jeune fille, de la nymphette à la nymphe.

En toute logique, le regard disponible de Paul-Armand Gette, son goût du trouble, du point limite, l'ont amené à trouver pour ses nymphes les lieux les plus appropriés pour que se dévoilent leurs attraits : les salles de bains, ou les toilettes des musées.

Il est important de préciser ici les relations qui existent entre Paul-Armand Gette et son modèle. Chaque petite fille ou jeune fille photographiée est individualisée, nommée (Nathalie, Lotta, Emilie...). Le modèle de Paul-Arnand Gette n'est jamais réduit à un objet, mais toujours reconnu connu une personne et traité comme telle. Ce sont des modèles consentants, respectés, aimés. Jamais ils ne sont photographiés par surprise ou trompés. Ils ne montrent à l'artiste que œ qu'ils veulent bien montrer.

Les nymphes sont (au sens étymologique) des "déesses d'un rang inférieur qui hantaient les bois, les montagnes, les fleuves, la mer, les rivières". La nymphe est donc "par nature" inscrite dans le paysage, dans son histoire, dans son souvenir. La nymphe est le témoin que le paysage est aussi affaire de sensibilité. La sédimentologie, la géologie, la minéralogie sont des méthodologies scientifiques mais aussi des systèmes d'images, des espaces d'imagination. Gette n'utilise pas ces méthodes de lecture du paysage pour accéder à une quelconque vérité cachée. Pas plus que ses modèles, il ne veut pousser la nature dans ses retranchements. Il s'agit simplement d'être attentif, de laisser se déployer son regard.

PAUL-ARMAND GETTE
Autobiographie
Né à Lyon le 13 mai 1927

1933 - Rencontre à Saint-Pierre-de-Chartreuse, où il passe ses vacances, une petite fille qui lui donne entre autres choses le goût des Sciences Naturelles.
1934 - S'intéresse à la minéralogie et à la pétrographie, un peu plus tard à la géologie.
1935 - Voyage en Italie avec ses parents et une préceptrice. Il visite Turin, Milan, Pise, Florence, Sienne, Rome, Naples. Une excursion le mène au sommet du Vésuve, et lui permet de ramasser des fragments de laves, quelques petites bombes volcaniques et des lapillis.
1945/1947 - Communications dans le Bulletin de la Société Linnéenne de Lyon.
1948 - Commence à peindre (?)
1951 - S'installe à Nice
1956/1960 - Travaux de sculpture/modelage (Les Calcinations) et d'assemblage de lettres (Les Cristallisations Verbales, etc.).
1963 - S'installe à Paris. Vacances en Corse.
1964 - Voyage en Allemagne et en Scandinavie. Agrandissements d'insectes : sculptures et toiles photographiques.
1966 - Recherches sur les cadrages d'espaces et les anomalies perceptives et les perspectives conduisant à des sculptures transparentes et planes : Les Cristaux.
1968 - Observation sur la plage de Malmö de Chortippus albomarginatus Deb.
1970 - Photographies de Nathalie (mai) puis d'Emmanuelle (juin), début des travaux sur les petites filles. (Les Promenades avec Christian Boltanski et Jean Le Gac)
1971 - Crystal, film 16mm couleur avec les voix de William Burroughs et Brion Gysin. (Artemisia vulgaris, envoi, Berlin, octobre)
1972 - C'est à partir de cette année (exposition La Prairie - La Forêt en novembre à la Galerie Weiller) que les travaux ayant la Nature pour objet seront nommés "Contributions à l'Etude des Lieux Restreints".
1974- Etablissement de transects sur la plage de Malmö et détermination de points zéro (O m.). Introduction d'images vidéographiques dans ses travaux.
1975- Le Jardin, étiquetage du Square Salomon de Rothschild et installation de deux stations météorologiques. La Nomenclature Binaire, Hommage à Carl von Linné, Université de Paris X-Nanterre. Photographies, Hommage à Charles Lutwidge Dodgson, Paris.
1976 - Nymphaea alba L., Hommage à Claude Monet, Giverny. Le paysage et la rencontre des adolescentes.
1978 - Travaux sur le volcanisme dans le sud de la Suède.
1979 - L'exotisme puis l'érotisme par glissement ascendant de l'x à l'r. Photographies de Sophie.
1980 - L'été à Berlin et premier achat d'une culotte de petite fille. Séjour à Berkeley.
1981 - Voyage en Laponie.
1983 - Le toucher de Pernilla et de Sophie.
1984- Deuxième voyage en Laponie. Projets pour le bain du modèle (de la Nymphe) et simulacres.
1985 - Lettre aux directeurs de musées sollicitant une autorisation d'exposer dans les toilettes.
1987 - Domiciliation de l'atelier dans les carrières de Verze (S. &L.) et travail sur les blocs de roches d'origine volcanique.
1988 - La Solidification - proposition (fourbe) pour la commémoration de la Révolution Française.

L'exposition "Nymphe, nymphaea et voisinages" occupera l'ensemble des salles d'expositions (1000 m2). Elle rassemblera un nombre important d'oeuvres allant de 1960 à 1989. Un catalogue contenant de nombreux textes (bilingue Français / Anglais) et illustrations sera édité à cette occasion.