Communiqué de presse

LOTHAR HEMPEL
Alphabet City
11 février – 6 mai 2007
INTERVIEW VIDEO
Février 2007 / 3mn14s
Traduction
© La Compagnie des Vidéastes 02/07

Je dois dire qu’au départ, je redoutais vraiment ce moment, que je ressentais comme une psychanalyse, où il faut rechercher profondément dans sa propre histoire, essayer d’imaginer des images et les rassembler dans un contexte nouveau.
Cette démarche a été assez douloureuse, et à la fois bénéfique, car j’ai passé une nouvelle étape grâce à cette exposition, et je peux voir comment les choses sont interconnectées. Certaines questions me sont apparues très clairement concernant les œuvres, spécialement dans la salle où se trouve Sugar swamp, œuvre à propos de laquelle j’ai vraiment été perplexe. Etait-ce vraiment bien, était-ce réellement ce que j’étais en train de faire ? Je trouve que les espaces et les œuvres sont faits dans un but particulier, et que tout se répond dans un sens ou un autre. Il est évident que cette œuvre devient presque vide de sens sans les autres œuvres.
Je peux voir comment tout est connecté et construit dans les deux directions du temps, pas seulement au moment présent.
Je pense que c’était une expérience intéressante, et en fait très forte pour moi.

(…)
Je pense que c’est à propos d’eux, à propos de moi bien sûr, également à propos de moi en tant que multiple personnalité, dans le sens où je suis a la fois le créateur et le spectateur de mon propre travail. Mon travail n’est pas conceptuel, c’est-à-dire que je n’ai pas d‘idée précise que j’essaie d’illustrer, et je ne sais pas exactement ce qu’il deviendra. J’essaie de créer des situations dans lesquelles vous pouvez expérimenter ou reconsidérer quelque chose ou son espace pour en discuter.
C’est un espace de pensée, et également un espace d’émotions, et comme certaines personnes le disent, vous devenez acteur devant mes œuvres.
À propos de qui ? Je ne sais pas. À propos de rien, et de n’importe quoi.
Peut-être est-ce seulement un outil, et nous devrions les regarder comme des outils pour créer quelque chose de nouveau.
Ce que je préfère dans une exposition, ce sont les espaces que je ressens avec mes objets ; j’aime que l’espace soit sans fin, qu’on ne puisse pas dire où le travaille commence et où il se termine. Comme le fait qu’on ne puisse pas consommer les images, elles interviennent dans l’espace, et essaient de fragmenter l’espace dans lequel on se trouve, ou de fragmenter le temps pendant qu’on les regarde.

Merci


Lothar Hempel transforme l’espace d’exposition en une scène sur laquelle le spectateur devient acteur d’une narration faite de renvois et de contradictions. Ses œuvres sont tout à la fois le synopsis, le décor, les personnages et les accessoires d’une scène de théâtre. Elles figurent les éléments disparates d’un récit créé à partir de références à l’histoire de l’Allemagne, à la psychologie, à la tragédie grecque, au cinéma, à la musique, à l’histoire politique et sociale aussi bien qu’à la neurologie. Lothar Hempel use indifféremment de styles ou stratégies inventées par Dada, le constructivisme, le Bauhaus ou encore Joseph Beuys. Il utilise des métaphores visuelles en incorporant des images ou des objets trouvés.
Alphabet City, qui est aussi le nom d’un quartier de New York, a été choisi comme titre par l’artiste en référence à la nature rétrospective de cette exposition, mais également pour signifier l’ancrage de son travail dans la réalité. Conçue par l’artiste et la commissaire d’exposition Florence Derieux, Alphabet City est composée comme un parcours narratif ponctué de points de repère sur le développement de la démarche de l’artiste et non selon un ordre chronologique. Chaque salle permet en effet de faire la lumière sur les différentes phases de l’évolution du travail de Lothar Hempel à travers des installations inédites. Bien qu’elle reprenne les expositions-clés qu’il a réalisées depuis le début de sa carrière, l’exposition ne restitue, dans son intégralité, que celle intitulée Samstag Morgen, Zuckersumpf (Samedi matin, marais de sucre) qu’il a présentée en 1997 à Londres (cf. salle 8).
Dans la salle centrale sont réunies des œuvres récentes ou créées pour cette exposition. Les images représentées, qui évoquent notamment le corps en mouvement et le temps, renvoient à l’intérêt de l’artiste pour la performance. Enfin, dans la salle 9, la double projection réalisée par l’artiste pour cette exposition a été conçue à partir des éléments constitutifs d’une oeuvre vidéographique antérieure. Ce principe peut certainement être rapproché de celui du « sampling », qu’en tant que DJ il utilise aussi en musique.

Lothar Hempel parle de son travail
Toby Webster : Vous est-il possible de nommer quelques thèmes et enjeux centraux qui constituent la base du développement de votre travail ?
Lothar Hempel : Paradoxe : quelqu'un peut-il devenir ce qu’il a envie d’être pour lutter contre l’angoisse de la mort ? Des considérations morales, les enjeux éthiques et idéologiques sont des motifs centraux de mon travail qui adviennent dans le questionnement de l’idée de “moi”. Ici, le moi est fluide et dynamique, c’est une métaphore sociale. Il est sans commencement et sans fin. Je me plais à construire des situations qui ont des qualités oniriques ; où intérieurs et extérieurs ne sont pas en contradiction, où vous êtes, en tant que spectateur, tout à fait libres de mesurer les différentes options qui s’offrent à vous alors même que vous vous trouvez au beau milieu du conflit.

TW : Dans votre travail, les caractères et scénarios sont mis en place comme s’il s’agissait d’un jeu. Est-ce là pour vous une analogie utile ?
LH : Traditionnellement, les jeux mènent à un résultat, alors que j’aime au contraire laisser mes scénarios aussi ouverts que possible. Cela dit, il y a des similarités en terme de formes. Peut-être que ça vient de la manière dont j’envisage mes personnages, comme étant aussi soumis à rituels que les pièces d’un jeu d’échec. Il n’y a pas de profondeur particulière à ces figures. Elles sont plus des représentations de principes que des personnages à part entière. J’aimerais parfois que mes installations fonctionnent comme des machines narratives capables de produire des variations sans fin, un peu comme le théâtre Kabuki crée du sens, du beau et de la vérité par-delà sa force formelle.

TW : J’ai l’impression que vous travaillez avec des perceptions psychologiques assemblées en collage avec de la sculpture formelle. Il y a un moment dans votre travail où vous donnez l’impression de décrire l’âme comme morte. Qu’en pensez-vous ?
LH : Mon travail a aussi un fort côté cinématique. Dans le langage filmique comme dans le langage onirique, vous trouvez des images qui résistent aussi bien à la consommation qu’à l’interprétation. Peut-être ces images sont-elles sans âme simplement parce qu’elles sont vides. Elles semblent flotter dans un monde parallèle, au-delà des règles de la narration et de l’intrigue. Elles ne sont pas mortes à proprement parler, mais plutôt comme des fantômes.

“Entretien entre Toby Webster et Lothar Hempel”, Emma Stern (éd.), Lothar Hempel -Propaganda, ICA - Institute of Contemporary Arts, Londres, 2002, n. p.

Lothar Hempel est né en 1966 à Cologne, où il vit et travaille.
Il a étudié à la Kunstakademie (Ecole d’art) de Düsseldorf de 1987 à 1992.