Press release (french)

SOPHIE RISTELHUEBER
"FAIT"
26 septembre – 15 novembre 1992

"L'homme regarde le monde, et le monde ne lui rend pas son regard". Cette phrase d'Alain Robbe-Grillet que cite Sophie Ristelhueber, faisant référence à un mémoire qu'elle fit, est symptomatique de sa démarche. En effet, ajoute-t-elle, dans le Nouveau Roman comme en photographie, "lorsque la description prend fin, on s'aperçoit qu'elle n'a rien laissé debout derrière elle. Elle s'est accomplie dans un double mouvement de création et de gommage".

C'est ainsi que depuis dix ans, Sophie Ristelhueber utilise la photographie, comme moyen de mise à distance, dans des situations particulièrement chargées mais ramenées pourtant à une simple mise au monde de formes. Du travail, en 1982, réalisé dans un service chirurgical spécialisé dans la "reconstruction" des corps, à la série sur Beyrouth (1984), ou celle plus récente du Koweït, exposée au Magasin, il ne s'agit à aucun moment d'une esthétique de la catastrophe ou de la guerre, ni d'une vision de l'abîme, même si l'épée de Damoclès pèse de plus en plus lourd au-dessus de nos têtes.

Bien au contraire, Sophie Ristelhueber parle du regard, de ce regard du monde contemporain qui, à force de trop vouloir voir, se brouille et devient aveugle. De ce regard qui s'habitue à la violence déréalisante des médias, à la tension extrême qui semble être à son comble aujourd'hui. Nul ne peut échapper à cette boulimie trompeuse d'images que produit chaque jour la sphère médiatique. Une boulimie qui induit une inéluctable disparition. C'est pourquoi Sophie Ristelhueber se met à chaque fois dans la situation de reporter mais sans en fournir l'objet.

Il y a dans son travail celte nécessité de l'expérience, d'un investissement physique, proche de la performance, et d'une confrontation au réel des situations. Des expéditions difficiles, comme autant d'explorations dans le pays lointain du regard. Dans le rapport frontal que développe Sophie Ristelhueber par rapport aux situations dans lesquelles elle se place, l'artiste rappelle que la photographie "n'est jamais l'illustration d'une vérité mais mise au monde de formes qui ne se connaissent pas encore elles-mêmes". Une perte d'échelle, une absence de perspective qui ramène la surface au plan, mettent le spectateur en situation de difficulté face à l'effet boomerang de ces images. Dans la situation du devoir regarder, de la confrontation obligatoire, Sophie Ristelhueber montre, à l'instar d'un Paul Virilio, qu'aujourd'hui les images sont les nouvelles armes du monde contemporain.

Le travail de Sophie Ristelhueber s'articule autour d'images de ruines. De ruines corporelles ou de "paysages cicatrisés". Ainsi Beyrouth, ou le Koweït plus récemment, sont presque les premières images contemporaines de catastrophes en direct, de paysages qui tremblent et se redressent. Sophie Ristelhueber fait des "coupes dans le vif" de la nature martyrisée par l'homme. D'une nature désertée par celui qui pourtant y a laissé sa présence. Cet univers fossilisé d'objets abandonnés atteint une surprenante sérénité, un calme absolu. Celui du désert. D'un univers qui, à force de vouloir communiquer, renforce l'impression de solitude de l'homme.

Jérôme Sans

Sophie Ristelhueber présente une installation d'une vingtaine de photographies (100 x 125 cm). Un livre, conçu par l'artiste, est édité simultanément par Hazan à Paris et Thames and Hudson à Londres.