Kader Attia, Tsunami
"Kader Attia dans l'oeil des musées"
Le Figaro « et vous », Paris, 17-18 juin 2006
Star du marché, candidat du dernier prix Marcel-Duchamp, enfant issu des
banlieues, il bénéficie d'une première exposition monographique à Lyon.
C'est une consécration. Fulgurante comme l'éclair. Puissante
comme l'ouragan. A l'image de la personnalité de Kader Attia, qui sort
de ses tripes son passé, plonge avec violence et poésie dans
les "traumas" de son enfance, s'interroge avec un réalisme
cruel et rieur sur notre monde. A l'image de son oeuvre dérangeante
comme les 150 pigeons de la gigantesque volière Flying Rats de la dernière
Biennale de Lyon dévorant 40 mannequins écoliers recouverts de
graines ou sa salle blanche de carreaux d'hôpital à la dernière
Fiac (pour le prix Marcel Duchamp) avec son toboggan rose parsemé de
lames de rasoir rappelant les moments douloureux de sa circoncision. Ce fils
de parents algériens né en 1970, à Dugny, en Seine-Saint-Denis,
a connu une montée en flèche. Depuis ses débuts chez le
jeune galeriste Kamel Mennour, qui l'a révélé avec force
au marché dans les années 2000, à son récent passage
chez son nouveau marchand Daniel Templon pour tenter d'asseoir sa cote à un
niveau plus international.
Kader Attia, âme déterminée et torturée qui voit
son «travail comme un divan d'analyse », est aujourd'hui partout.
A Bâle, où il a stupéfié son public avec son couloir
de glace transpercé de douze énorme vrilles (Infinities, pièce
unique réservée par un Américain, à Art Unlimited).
A Zurich, où il présente chez Simon de Pury une grande toile
d'araignée composée de centaines de menottes de police. Et, depuis
hier, au musée d'art contemporain de Lyon qui lui consacre (en association
avec le Magasin - Centre national d'art contemporain de Grenoble) une première
exposition monographique avec un ensemble inédit d'oeuvres créées
pour l'occasion. En quatre salles, on découvre une nouvelle dimension,
plus profonde, plus universelle, chez cet artiste plus attaché à ses
débuts, de par ses origines, à parler de l'identité conflictuelle
d'une culture déracinée, face à la séduction de
la société de consommation occidentale.
Artiste solitaire et sans compromis
« Cette exposition est conçue comme un scénario sans titre,
un état de la société dans laquelle on vit. C'est un conte
de fées à l'envers qui devient de plus en plus angoissant et étouffant
où je mélange mes différentes thématiques politiques
et psychanalytiques, avec des objets à la fois ludiques et cruels »,
explique Kader. «J'aime que le spectateur soit impliqué dans l'oeuvre.
Passer la porte avec les couteaux à Lyon ou entrer dans le long tunnel
avec ses mèches de perceuses tournantes à Bâle est une sacrée
expérience qui donne le tournis. De même que se retrouver au milieu
de ma forêt d'araignées faite de simples carcasses de parapluies
retournés devient un cauchemar claustrophobe.»
Il y a des thèmes récurrents dans l'oeuvre de cet artiste solitaire,
sans compromis, bien que star adulée des collectionneurs marathoniens
des foires. L'amoncellement de ses 152 réfrigérateurs désossés
et repeints de bandes de petits carreaux donnant l'illusion d'immeubles d'une
ville de banlieue est un vrai choc. « C'est une vision métaphorique
des villes modernes. L'humain se sent enfermé dans un système
qui va le dévorer, raconte encore Kader. Quant aux 5 panneaux lumineux
d'Abribus aux vitres cassées, ils symbolisent mon exaspération
face au vandalisme. Mais l'objet a une seconde vie. Par sa plastique, il est
un nouvel espoir. » Dans la violence, n'existe-t-il pas une certaine
beauté?
Béatrice de Rochebouët