Kader Attia, Tsunami
"Jonathan Meese, tout et son contraire"
Le Figaro « et vous », Paris, 25 septembre 2006, p.35
L'enfant terrible de la peinture allemande, actuellement exposé chez Templon, fait un malheur auprès des collectionneurs français.
L'HABIT fait-il le moine ?
Jonathan Meese a la longue chevelure sombre et
l'oeil fixe de Raspoutine, les jeans noirs et la veste Adidas assortie d'un
jeune qui se respecte, la barbe folle des faux druides de l'ère hippie.
Derrière
la timidité de fils de bonne famille né à Tokyo en 1971
de père diplomate et de mère traductrice, l'artiste s'est forgé un
bel appétit d'ogre qui s'empare du monde sans tenir compte des procédures.
Il y a comme une envie de razzia chez ce peintre, dessinateur, sculpteur, vidéaste
et acteur intarissable de performances théâtrales (improvisation
sur Parsiphal au Berliner Staatsoper en 2005). Un souffle d'envahisseur, comme
celui qui balaie Siegfried dans Der Ring des Nibelungen de son cher Wagner.
L'enfant terrible de la peinture allemande a 36 ans et la joie toute neuve
de l'écolier devant ses crayons de couleur. Elle déborde de ses
immenses toiles, toujours hantées, mais chaleureuses, joueuses, joyeuses.
Grand méchant loup ou Petit Poucet ?
Beaucoup situent Jonathan Meese
dans l'héritage de l'expressionnisme allemand, né des horreurs
de la Grande Guerre, qui traduisait la violence des temps par un chaos de formes
et de couleurs. Les Parisiens se souviennent de son oeuvre au noir, tumulte
visuel et inquiétant, lors de l'exposition de la collection Harald Falkenberg
(Hambourg) à la Maison rouge en janvier 2005. Déambulant comme
un fantôme parmi le gratin des collectionneurs, l'artiste semblait être
descendu des murs où son visage, tantôt démoniaque, tantôt
christique, est si souvent représenté, dessiné, peint à même
le tube, photographié comme une icône, décomposé comme
un ex-voto, collé, repeint.
Un romantique déguisé en
faux dur
«Je suis un optimiste de nature. Particulièrement en ce moment,
où j'ai envie de replonger dans la liberté totale de l'enfance,
d'aimer ou de détester; d'ignorer le contexte, de ne pas réagir;
de faire ce que bon me semble. Je sens que tout est possible, que l'art permet
tout et est la seule loi, le seul but, la seule valeur sur laquelle il faut miser
en acceptant le risque de tout perdre, comme à la roulette russe»,
plaide ce romantique déguisé en faux dur qui pleure « la
mort des utopies » et que sa mère Brigitte suit partout en ombre
tutélaire.
Ses fresques portent des titres souvent burlesques, jeux de mots autour de
son patronyme : Dr Phantomeese, autoportrait en seigneur barbare, Lady
Missmeesau in Bayreutheben, autoportrait en diva d'opéra (à la Saatchi Gallery
en 2005), DR NO (Meesaint Just ll Mein Ich, die Warheit), autoportrait pieuvre
en bronze, ou Der Populargott «Ammeese », vaste composition de
2006 où les crânes se mêlent aux injonctions, aux gags,
aux arbres et aux chimères (galerie Templon). Ses héros sont
légion: « Saint-Just qui exprime sa sensibilité comme un
animal sauvage, Sade, Nietzsche, Wagner, Picasso et Balthus, Welles, Kubrick
pour Orange mécanique et Pasolini pour Salo ou les 120 Jours de Sodome,
Fritz Lang et Erich von Stroheim, John Galliano, mon nouveau Saint-Just..,
et Scarlett Johansson, dont la grâce efface tout autour d'elle.» Le
sauvage rosit.
Valérie Duponchelle