Kader Attia, Tsunami
"Trash Painting"
Beaux Arts Magazine, Paris, Novembre 2006, p.44/45
Reprenant le flambeau de la peinture expressionniste allemande, Jonathan Meese,
chamane foutraque et performer en transe, libère à Grenoble ses
démons de minuit.
Le récit de ses premiers gestes de peintre a des airs de légende.
Et sa mère pour conteuse: «Timide et renfermé, mon fils
restait dans mes jupons, sans trop savoir quoi faire. Un beau jour, à 22
ans, il me réclama un chevalet. Un an et demi plus tard, sa chambre
sentait la peinture à plein nez.» Comme si Jonathan Meese avait été touché par
la grâce. Ou frappé par la foudre. Car ses tableaux se couvrent
d'un magma de matière, dégoulinent de figures tordues, d'objets
fixés à la glu et d'autoportraits flous, comme si le tonnerre
les faisait trembler. Meese est captivé par les mystères ancestraux
de la création, du monde et surtout de l'outre monde. Ses tableaux en
sont les grimoires, plus magiques et fantasques qu'effrayants. Il y fait défiler
le spectre de docteurs maléfiques, ses grands prêtres de l'Apocalypse
que sont Dr. No et Dr. Mabuse, Goldfinger et Dracula, plus quelques figures
médiévales connectées aux rites ésotériques. «Bien
sûr, il y a une face sombre dans mon travail, mais au fond, il est aussi
très comique. Il n'y a qu'à voir comment je mets en scène
la sexualité.» Avec des grosses bites plus proches en effet du
gribouillis d'enfant que de l'obscénité porno.
L'art est un truc qui le rend fou. Sur scène, lors de performances chaotiques
saturées de danses et de musiques crissantes, il «entre en transe
et fait n'importe quoi, l'air débile». À tel point qu'il
préfère que sa mère soit à ses côtés.
Elle aussi d'ailleurs, «parce qu'il s'est déjà blessé».
Jonathan Meese est pourtant un solide gaillard aux cheveux longs, la coupe
du hard rocker allemand sur un visage poupon et aux goûts tranchés.
Il n'a pas de mots assez durs pour la génération des jeunes peintres
de l'école de Leipzig. Car, malgré ses 35 ans, Meese est un peintre
old school. Il vénère les maîtres anciens, les lmmendorff,
Baselitz ou Lupertz. Des «combattants», hérauts d'une peinture épique,
faite au sabre (ou à la truelle, comme on voudra), avec lesquels il
collabore régulièrement pour "partager leur énergie" dans
des performances partout dans le monde. Il travailla aussi un temps avec John
Bock, autre grand allumé chamanique. Mais, une fois rentré à Berlin,
dans cet ancien entrepôt de la poste qui lui sert d'atelier, la grand
messe commence vraiment, et Meese, samouraï solitaire (il est né au
Japon), n'y est plus pour personne s'entretenant avec ses démons, ce
diable d'artiste est rentré dans sa boîte.
Judicaël Lavrador