Marco Bagnoli


 

"La philo par l'expérience"
Voir, Suisse, Juillet/Août 1991


EXPOSITION
PAR CATHY SAVI0Z

MARCO BAGNOLI ET REMO SALVADORI AU MAGASIN DE GRENOBLE

La philo par l'expérience

Cet été, le stock du Magasin porte un label italien: deux expositions simultanées présentent les travaux des artistes Marco Bagnoli et Remo Salvadori, deux artistes toscans, qui mêlent art et philosophie.

Remo Salvadori et Marco Bagnoli ont investi le Magasin de Grenoble. Ancien magasin des ateliers de Gustave Eiffel, le Magasin avec ses 1800 m2 utilisables est une halle gigantesque. L'équipe du Magasin, dirigée par Adelina von Fürstenberg, a partagé cet espace en «rue» et en «galeries». Si les galeries ressemblent à des salles de musée d'art traditionnel avec les murs blancs, un plafond à hauteur raisonnable, un éclairage spécifique, la rue est bien plus «brutale». Elle n'est ni climatisée, ni limitée dans sa hauteur, son espace est circonscrit d'un seul regard.
Dans ce décor, les artistes ont disposé d'espaces complémentaires: 2/3 de galeries 1/3 de rue pour Marco Bagnoli et l'inverse pour Remo Salvadori. Ces séparations rue/galerie sont souples et se modifient à chaque exposition selon les voeux de l'artiste.
Même s'il s'agit de deux expositions indépendantes, les artistes partagent quelques points communs. Ils sont tous deux d'origine toscane, ils se connaissent. Ils ont émergé sur la scène internationale quand la «transavangarde» italienne naissait. Et pourtant ils ne se sont pas laissé intégrer dans ce courant-là, chacun poursuivant son propre chemin. Des thèmes leur sont communs, notamment celui du dieu romain à deux visages: Janus. Et puis, la philosophie et la philosophie des sciences soutendent les deux démarches.
Marco Bagnoli par exemple fait référence à Einstein comme à Pascal ou aux penseurs orientaux. Les concepts ne sont pas toujours faciles à manier, malgré une introduction dans le catalogue du philosophe Fulvio Salvadori.
L'artiste n'a pas une technique unique: il peint sur toile ou à fresque, il moule, assemble, joue avec la lumière. II développe des thèmes comme le char. Une construction en bambou - le char - est éclaté et ses quatre roues gisent de part et d'autre. Chacune d'elles est unique. Hémisphère ou cylindre, elles supportent une pièce verticale, tantôt toupie, ce qui donne l'impression que la roue tourne encore dans le vide, tantôt volume formé par la rotation d'un profil sur l'axe vertical. Les notions de plein et de vide, de surface additionnée - comme Quba - ou de surface en rotation pour créer un volume, sont récurrentes.
Contre le mur, une frise des sept dormants se déroule et fait référence à des recherches antérieures, sur une légende des premiers chrétiens. Dans la partie adjacente, l'oeil est attiré par un fragment bleu, qui se révèle au bout d'une enfilade de salles. Il s'agit d'une grande toile bleue dont la spirale irrégulière et le rectangle sont des formes habituelles de l'artiste. Une composition géométrique avec ce grand rectangle accompagnait en effet chaque image des sept dormants dans un travail antérieur. Dans cette même salle, un rectangle rouge peint à même le mur répond à celui de la toile. Le parcours se termine dans un cul de sac, une salle «rue», où deux grandes pièces, l'anneau manquant à la chaîne qui n'existe pas et la parole (comme chaque colonne dans le silence une colonne). Les titres, dans les travaux de Bagnoli, comme ceux de Salvadori, sont importants et prêtent à réflexion. La parole... ressemble à un grand cube, percé d'un labyrinthe. Haut de plusieurs mètres, on ne peut déchiffrer le mot sanscrit qui dicte le plan du labyrinthe. Fulvio Salvadori, le philophe, fait appel à Einstein, Pascal, Huygens, Parménide, Eurigène et d'autres pour l'expliquer. Quant à l'anneau... il est surnommé la montgolfière, par sa forme, et rappelle une expérience de Marco Bagnoli à Amsterdam.
Pour les deux artistes la vision par le haut est capitale.
(...)

Grenoble, le Magasin
Centre national d'Art contemporain
155 cours Berriat
jusqu'au 21 juillet 1991

• Catalogues de Remo Salvadori et Germano Celant, Marco Bagnoli et Fulvio Salvadori.
• Le Magasin a tiré une pièce multiple de chaque artiste. A disposition des amateurs.

Cathy Savioz