François Bouillon


 

Daniel Dobbels
"On trouve tout au Cnac"
Libération, Paris, 27 mai 1987

(...)
Puisque le temps nous est ainsi donné, il est alors loisible d'en sentir les prolongements chez François Bouillon. Celui-ci indique, sans s'éterniser, mais en prenant son temps, les voies qu'il suit pour chiffrer ses parcours et ses avancées. 1 = Abstraction; 2 = Classical Abstraction; 3 = Classic Abstraction; 4 = Classic old Abstraction; 5 = Classic called Abstraction: ce passage citationnel se fait sans bruit, comme si, pour que la Ronde de Nuit (1986) soit entière, il avait fallu faire le détour d'une coupe au carré, détour obligé où l'austérité est toute entourée d'humour, bercée et nettoyée par une drôlerie discrète qui pourvoit aux nécessités.
Bouillon est quelqu'un qui sait tourner autour du pot. C'est d'ailleurs l'objet de ses Tragédies (1986) où, au lieu même d'un théâtre défroqué, s'inscrit une histoire presque muette de pots cassés. Oiseaux-leurre, chut, ève, guettée par l'ennui, sort, de l'ombre, masquée, le Niger coule sur ses âmes, silence lent, sésame meurt sourd, comme un pot, premier mari des adeptes du vide: le cercle ainsi décrit et circonscrit tourne à vide mais écrête le trou qui pourrait en aspirer les narrations, les mythes, les figurations ou les éclats de rire.
Bouillon frise le vide. Il n'y cède pas. Et si Sésame meurt, avant ou après avoir ouvert la porte de la caverne, sourd comme un pot c'est pour le bien de
« sésamis », n'importe qui en visite, de telle sorte que sauvés de l'ennui qui guette toujours, ils jouissent, à la différence de l'oiseau-leurre qui n'a rien de l'oiseau-lyre ou du loisir de l'heure. C'est à ce moment là, bien sûr, qu'il convient de s'en aller et de quitter le Magasin avec ses accessoires et le sentiment d'un accord de pensée. C'est dehors que les tragédies, les violons et les étoiles pliées font grincer des dents.
Apparemment, il y a peu de relations formelles entre le travail de Hreinn Fridfinnsson et celui de François Boullion. Si rapport il y a, ce pourrait être la lente théâtralisation du temps, commune à ces artistes. (...)
Même goût du mystère chez F. Boullion, mais ici le mystère s'organise socialement. Une ethnologie utopique de rites sacrés semble être le point de départ de son travail. Cercle magique et archaïque où se mêlent matière et symboles. Tout souligne la simplicité des sculptures grâce à l'utilisation de formes élémentaires et de matériau brut comme la pierre, le cuivre et le bois. Le secret se fond à des traces, des empreintes de main, des signes qui fleurent bon le fouillis préhistorique. Et pour couronner cette alchimie, des incrustations de plomb sur les pierres. Cette mise en scène de l'histoire s'accompagne à Grenoble d'une « tragédie », titre de l'oeuvre.
De l'âge du bronze au classicisme, le temps perd ses repères dans un rituel aux élans chorégraphiques. Le spectateur est même invité à faire de l'art en incrustant ses mains fuligineuses dans une serviette immaculée. Sweet revenge...