Daniel Buren« Autour du retour d'un détour
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"La bande à Buren prend d'assau le Magasin"
Lyon libération, Lyon, 24 mai 1988
Exposition de Daniel Buren au Magasin à Grenole. Il y reconstitue son
chantier du Palais Royal recto et verso. Une première: deux bandes dissidentes
refusent les 8,7 cm de rigueur.
Déjà présent lors de l'inauguration du Cnac de Grenoble
en avril 86, Daniel Buren revient hanter le site Bouchayer-Viallet. Buren
est une bande à lui
tout seul. En habillant uniformément son art de rayures verticales strictement
mesurées: 8,7 cm. Un motif qu'il adopte depuis plus de 20 ans, et qu'il
a érigé en système. On peut appeler cela le style. Que
Daniel Buren irrite (remember la polémique autour de ses colonnes
au PalaisRoyal), ou séduit (les tenues des gardiens du musée
d'Eindhoven, c'est lui), on ne peut,que constater le rigorisme de ses créations.
Avec une préférence pour l'« in situ »; pour
les installations
éphémères dont il et (presque) le héraut international.''.,
A l'origine, vers 1964, l'étroitesse et la rigidité du système
avaient une fonction idéologique précise, celle d'un art conceptuel
à la française, à l'instar d'un Sol-Lewitt où d'un
Joseph Kosuth outre-Atlantique. En partant d'un principe d'une simplicité
désarmante: il n'y a plus d'oeuvre d'art que reproductible. Avec le
groupe BMPT (pour Buren-les bandes, Mosset les cercles, Parmentier pour les
horizontales et Toroni pour les carrés), Buren répète
inlassablement son geste, pour remplir les 8,7cm de plans verticaux placés à
intervalles régulières. Avec leur air de rien, les bandes bureniennes
réussissent le paradoxe d'être plus voyantes que les lieux qu'elles
investissent. Et c'est une fois de plus le cas au Magasin de Grenoble, déguisé
en chantier. A cause justement de leur tracé régulier, récurrent
jusqu'à la boursouflure quasi-baroque. En toute situation, elles ne
servent
à un lifting d'un volume, architectural, mais soulignent les angles
imparfaits du bâtiment. Pour le Palais-Royal, il a voulu par exemple
insister sur l'aspect « linéaire, répétitif et
tramé »
du monument, et cyniquement le rendre plus ennuyeux en lui opposant ses colonnes
rythmées en scansion régulière. Stratège en diable,
Daniel Buren a réussi la gageure d'encercler le Palais-Royal alors
qu'il n'occupe de fait que la partie enserrée, celle de la cour d'honneur.
Au Magasin de Grenoble, il inverse totalement ce propos. C'est ses bandes
qui se laissent contenir par l'espace d'exposition, non sans humour. C'est
une des rares fois où l'on peut sourire devant l'austérité quelque
peu facétieuse de Buren. Il a tracé ses bandes sur les panneaux
mêmes provenant du chantier du Palais-Royal. En jouant sur la réversibilité:
pour son installation au Magasin, malgré les palissades dressées,
il n'y a ni recto ni verso pour le regard du spectateur. Au choix: on
peut fixer soit les bandes, soit les phrases qui y sont inscrites au
dos. Daniel Buren, peutêtre un tenant de la Gestalttheorie qui
s'ignore -où est le
fond, où est la forme, et qui loucherait en plus vers l'art social,
dans la genre « mes oeuvres sont un condensé de la mentalité
sociologique de mes adorateurs-détracteurs ».
En grand prestidigitateur, il jongle en tous cas sur l'effet d'effacement des
supports sur lesquels s'inscrivent ses alignements. On envient à oublier
les opinions dessinées ou gravées sur les panneaux pour ne
retenir - encore une fois - que les bandes de 8,7cm, sauf deux, qui ne respectent
pas tout à fait cette mesure. Un première chez Buren. Avec
un sol unîment monochoque en guise de socle.
Diep Tran