«joueur d’espace»,
Le Petit Bulletin, Grenoble, 4 mars 1998
Hors les murs du CNAC, Claude Lévêque présente «The
world is a game», un univers où le rêve n'a plus cours. Visiblement,
les artistes contemporains ont autre chose à faire que de nous donner
de l'émotion.
Des filtres solaires bleu métal faussent la lumière du dehors.
Extérieur virtuel, intérieur plus très jour. Les murs de
l'appartement ont été blanchis, la structure anthracite du sol
renforcée par des litres de détergent. Des appliques semi-globulaires
à l'envers jonchent les trois niveaux de l'habitation, elles laissent
leurs fils veiner négligemment le carrelage. Elles clignotent à
fréquence variable, isolément ou toutes ensemble, pour baliser
un territoire convulsif, ponctué de jingles assourdissants. Dans la pièce
principale, une double échelle projette l'ombre de son extrémité
sur un film diffusé au plafond : des images flottantes d'un coin de la
Villeneuve tournoient, dans un sens puis dans l'autre, à vitesse aléatoire.
L'invitation au grand saut est tentante, mais l'échelle ne sera qu'un
moyen illusoire d'échapper au manège infernal des lumières.
Sévère déroute pour qui n'attend de l'art qu'un cajôlement
des sens ou la preuve d'une étourdissante maîtrise technique. «Sans
vouloir être agressif, je cherche à rendre mal à l'aise,
explique Claude Lévêque. Les troubles du sens et de la perception
dominent mon travail, en rapport à des lieux variés -hôpital,
musée, appartement- mais toujours des lieux sociaux.» Constatant
justement la réussite architecturale et sociale de la Villeneuve («l'antighetto»),
ce parisien de banlieue est convaincu que «l'art doit distancier des lieux
habituels de création ou d'exposition, se déplacer et faire partie
du quotidien. Il faut donner aux artistes la possibilité de s'inspirer
d'un quartier ou d'un bâtiment et leur laisser le temps de s'en imprégner,
de rencontrer les gens qui vivent là, ou y travaillent.»
Richard Gonzalez