Broken Music
"Magasin de Grenoble: dernier bazar avant rénovation"
Libération Lyon, Paris, 11 octobre 1989
En revanche, les vinyls collés au sol en guise d'ouverture à
« Broken Music» se modulent sur un ton ondulatoire. Exactement comme
la pièce de Nam-
June-Paik qui fait tournoyer ses disques à la manière d'un jongleur
d'assiettes. Les sillons « scratchants » du Coréen surdièsent
dans le creux de l'oreille ouatée d'un John Cage dont les disques s'enclenchent
tels une cascade sonore tout en murmure. Sans surcharge d'expression, les deux
artistes multi-média interprètent un duo sur une partition tantôt
en haute-contre à la voix cassée (pour Nam-June-Paik), tantôt
sur une tessiture légèrement plus basse aux mélodies souples,
sans enrouement en ce qui concerne John Cage.
L'expression « Broken Music » a été inventée
dans les années soixante par Milan Knizak, un artiste tchécoslovaque
qui prenait les galettes pressurées comme matière picturale, en
les découpant selon un principe de géométrisation minimale,
entre croix et carré pour sortir de la quadrature du cercle. On n'entre
pas dans cette exposition comme on va à la FNAC. La manifestion est conçue
pour les malentendants qui n'hésitent pas à faire hurler les mélopées
d'une valse en boucle, tout en regardant avec tendresse la fameuse pochette
des Stones « Sticky fingers », à la fermeture éclair
riffée comme une ligne zizaguante d'un « Brown Sugar » à
peine coupé. Le tohu-bohu musical se vide lentement par l'unité
de l'accrochage qui laisse de longues plages de silence.
Qg-T.T.D.