Max Neuhaus


 

Patrick Javault
"Max Neuhaus, Les Sons d'une Exposition"
Arte Factum, Belgique, Septembre/ Octobre 1988, Page 41

Le travail de Max Neuhaus occupe dans le monde artistique une position décentrée, et cela moins par ses implications, ce qu'il met en jeu, que par la spécificité du médium qu'il utilise et qui empêche toute analyse conventionnelle d'un produit ou de moyens. De quelque façon qu'on aborde les installations sonores de Neuhaus, il faut bien recourir à des analogies visuelles et si la dénomination de sculpture semble pour elles inadaptée et ne correspondre qu'à un besoin de rassurer en rabattant un travail hors-normes sur une catégorie formelle, il n'est pas faux en revanche de les comparer à des architectures dans la mesure où par le biais de la perception auditive Neuhaus aboutit à une restructuration de l'espace investi. S'il est bien évident qu'il n'y a là rien qui se rattache à la sphère des arts plastiques, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les transgressions majeures des années soixante et soixante-dix nous ont appris à considérer autrement les dits arts, par métaphore ou métonymie, et que l'espace artistique est devenu le point de recoupements de pratiques très diverses et ne reposant pas uniquement sur une signification visuelle. Par ailleurs Neuhaus n'est pas un inventeur de sons, mais détermine à travers un matériau sonore les conditions d'un espace autre en modifiant notre façon d'appréhender un lieu donné, et en ce sens son travail entretient davantage des affinités avec ceux des grands artistes 'perceptuels' californiens comme Turell ou Nordmann qu'avec ceux de n'importe quel sculpteur ou concepteur d'installations en relation avec le lieu.
La ligne acoustique produite dans la Rue du Magasin de Grenoble opère moins comme un marquage de ce lieu que comme une ouverture inductrice d'une temporalité. Oeuvre importante ne serait-ce qu'en raison des dimensions du lieu et du pari qu'elle représente pour le Magasin par rapport à une politique d'expositions conventionnelle, elle est dans son principe moins riche d'implications que d'autres oeuvres réalisées dans l'espace public. Néanmoins le Magasin n'étant pas hermétique aux bruits de l'extérieur et si la présence du son est strictement délimitée, la ligne n'est pas pour autant enclose mais se trouve éclairée différemment selon que la circulation sur l'autoroute proche est dense ou non, ou que la pluie frappe le toit. Le son artificiel retenu par Neuhaus entretient des similitudes avec des bruits naturels et par lui Neuhaus construit la dimension manquante d'un paysage. Le lieu d'exposition de cette façon s'élargit, ce son apparemment sans origine procurant une sensation d'autant plus troublante. Ainsi, s'il n'y a rien à voir, il y a en revanche beaucoup à chercher et à apprendre et puisque l'oeil s'avère inefficace, c'est à visiter l'espace avec l'oreille, dont nous mesurons alors la faiblesse, que les oeuvres de Neuhaus nous invitent.
Dans le cas de la pièce acoustique réalisée pour la Galerie Hussenot à Paris (1988), l'énigme est d'autant plus grande que la diffusion du son échappe à toute logique acoustique. La séquence sonore qui semble venir du mur du fond, au point de sembler quasi palpable, passe derrière nous dès que l'on s'approche trop du-dit mur, insaisissable et à la fois présent en permanence. Si Max Neuhaus n'a pas de thèse à faire valoir sur la nature et le rôle de l'oeuvre d'art, son travail n'en est pas moins riche de conséquences et d'implications ontologiques, il oblige le visiteur à se comporter de façon active et met en évidence la présence du son comme dimension constructive de l'espace.
Bien que pouvant éclairer n'importe quel espace, le travail de Neuhaus s'enrichit néanmoins d'une relation avec la situation réelle d'un espace public puisqu'il déclenche un élargissement de nos facultés perceptives et nous amène à réfléchir sur elles là où certains plasticiens ne mettent en évidence que nos limites. C'est pourquoi on ne peut que souhaiter que le projet pour le couloir du métro Montparnasse, qui assurément perturbe l'esprit commémoratif de la commande publique, puisse être prochainement réalisé. Si ces installations sonores ne peuvent être caractérisées comme marchandise artistique, il reste à s'interroger sur la palce qu'occupe le dessin dans l'activité artistique de Neuhaus. Ces dessins représentent davantage qu'une concession faite aux règles du marché puisqu'ils ne sont pas des images de travail ni des ébauches de projet, auquel cas s'attacherait à eux une valeur essentiellement affective, mais les interprétations visuelles que Neuhaus donne de ses réalisations, qu'ils sont d'une certaine façon discours sur l'oeuvre. Sans prétendre restituer quoi que ce soit de l'expérience vécue, ces dessins montrent de quelle façon le son intervient dans l'espace, comme une nappe flottante ou au contraire comme un ensemble de lignes sèches et tranchantes, et confirment cette analogie avec l'architecture par quoi nous avons commencé. C'est à travers le dessin que Neuhaus parvient à lire et à comprendre ce qu'il a réalisé, puisque le son est d'abord pour lui un instrument d'investigation, que c'est après avoir éclairé la nature architecturale du lieu qu'il peut concevoir une modification de l'éclairage. Dans le cas du Magasin, l'idée d'une ligne semblait la seule réponse appropriée, alors que dans le cas de l'A.R.C. à Paris ou de la Kunsthalle de Bâle (1983), il a fallu tenir compte des sons déjà présents dans l'espace, ceux émis par les systèmes de climatisation ou de chauffage. Dans leur extrême simplicité, des traits plus ou moins colorés traversant les images de plans techniques et qui tentent d'évoquer aussi un climat, ces dessins complètent les conceptions de Neuhaus et sont donc partie prenante de son activité artistique. A l'expérience proposée, objet d'analyse, s'ajoute par une communication visuelle, le moyen d'en mesurer la portée.