Arnulf Rainer


 

Maiten Bouisset
"Les métamorphoses de la mort"
Le matin, Paris, 6 mars 1987, n°3113

Masques mortuaires de Liszt Mahler, Robespierre ou Goethe lacérés, éclaboussés, salis, figure du Christ surchargée d'un masque de peinture à l'huile noire, l'art de Rainer dit l'affrontement permanent entre destruction et résurrection.
Un voile de peinture à l'huile noire ruisselle sur une Croix de bois. Un graphisme exaspéré vient surcharger la photo d'un masque mortuaire et la figure du Christ n'en finit pas d'exalter l'homme de toutes les douleurs. Ce sont les thèmes majeurs des oeuvres signées Arnulf Rainer que le Magasin expose avec, pour l'essentiel, l'aide du peintre et celle de l'un de ses marchands viennois.
Arnulf Rainer est en effet né à Vienne en 1929. Cela a son importance si l'on songe combien sa peinture semble s'inscrire dans la continuité des inquiétudes douloureuses d'Alfred Kubin et d'Egon Schiele, ou plus près de nous de l'expérience de la souffrance propre à l'ouvre du romancier Thomas Bernhard.
Très tôt, Rainer choisira de se situer du côté nocturne « dans les marais de la mort ». La destruction, le geste iconoclaste, c'est d'abord, au sein même du contexte artistique européen, se trouver, nous dit Rainer, les moyens « de peindre pour quitter la peinture ». Son penchant pour la provocation, il l'empruntera aux surréalistes, tandis qu'il puisera dans la lecture de saint Jean de la Croix le goût de l'extase et de l'exaltation, celui du sacrifice expiatoire et du geste rédempteur.
Il y aura aussi l'idée que Rainer a partagée avec d'autres de faire de son corps le support et le moyen de la peinture, qu'il intervienne plus volontiers avec ses mains qu'avec un pinceau, qu'il se peigne le visage ou qu'il se serve d'autoportraits grimaçants.
C'est donc dans cette optique singulière qu'il convient de lire la série impressionnante de Masques mortuaires assemblés ici. Le masque de mort, « ce document de la dernière expression humaine avant son entrée définitive dans l'informé et dans l'illimité », dit Rainer, va, de par sa quasisacralité, solliciter le geste iconoclaste du peintre.
Lacérés, griffés, éclaboussés, abîmés, salis, raturés, les visages de Liszt, Mahler, Robespierre ou Goethe sont violés dans leur souveraineté et leur dignité figées advitam aternam pour resurgir autrement dans cet affrontement permanent qui domine l'oeuvre de Rainer, entre destruction et résurrection.
La mort et la résurrection encore, la souffrance et l'exaltation se retrouvent également dans le thème de la Croix, celui de la mise à mort du Dieu par et pour les autres hommes, impliquant aussi la notion de rédemption
« L 'homme mourant sa vie et vivant sa mort », écrivait Heidegger, Rainer est ce peintre et cet homme-là, jusqu'à l'insupportable parfois, mais avec, chevillée au corps, l'idée que l'art est aussi une façon d'effacer la mort.