Replay : la sphčre punk



 

"MIKE KELLEY, Tout est politique"
Beaux-Arts Magazine, Paris, août 2006, p.32-33


Bizarre, Étonnant, surnaturel... L'Américain Mike Kelley est exposé au Louvre et au Magasin de Grenoble. Une consecration pour cet aristo de la pensée, proche du groupe de rock Sonic Youth.

En anglais, un seul adjectif suffit : uncanny. Amoureux des lézardes que savent provoquer les mots, le plasticien Mike Kelley pourrait être tout entier dans cet «Uncanny», titre de l'exposition qui le révéla au monde de l'art en 1993. Uncanny : plus qu'un mot, un fourmillement, qui sied plutôt bien à ce maître de l'installation comme microchaos; à ses mises en scène complexes, qui déjouent toute interprétation. Mais il est loin de résumer toute la force plastique et destructrice de sa cacophonie. Intello, porno, scato ou prolo, Mike Kelley est avant tout un aristo de la pensée. De son visage un brin animal émerge un regard à l'intelligence sophistiquée.

Californien d'adoption, Mike Kelley a retenu le meilleur du Los Angeles des années 1970, où il se glissa loin de son natal Chicago catho. Portée par des enseignants comme John Baldessari ou Douglas Huebler, la fameuse école Cal Arts l'accueille. Elle se dessine alors comme un paroxysme de l'expérimental. «Un univers sans marché de l'art, ni compétition, ni concurrence», parfait terreau pour la liberté. Marqué par le charisme d'Ed Ruscha, Mike Kelley engloutit sa leçon conceptuelle; il s'ouvre aux bouleversements féministes, s'adonne au Do it yourself rageur des punks, descend dans les enfers angelins, apprend à ouvrir ses œuvres à toutes les collaborations, pour travailler fidèlement avec Tony Oursler ou Paul McCarthy. Seul regret: «Qu'aucune histoire de l'art de ces années là n'ait été écrite. Toutes les expériences, performances, installations qui se déroulaient dans les clubs, ont été exclues des récits officiels. C'est une histoire fantôme.» Aujourd'hui encore, elle hante les œuvres de ce grand ennemi du «formalisme comme religion». Plutôt que des intallations, il conçoit des «jeux d'analyses». À l'honneur, des objets oubliés, méprisés, cachés dans les recoins du quotidien. Une fontaine de Chinatown, un bouton de chemise, une peluche : «Personne ne penserait à considérer ces formes populaires en termes d'auteur. Mais pourquoi ce nounours a-t-il été conçu ainsi, à qui est-il destiné ? Rien n'est innocent, tout est politique.» Il le démontre au fil de ses installations, qui tentent d'éduquer notre regard; mais aussi, amoureux de William Burroughs et de Raymond Roussel, au flux de ses poèmes, méconnus; de l'underground musique de son groupe Destroy All Monsters; des nombreuses interviews, hors pair, qu'il réalise, ou de son enseignement, fondamental... Pour une époque qui aime surtout ce qui oublie d'échapper aux définitions et aux catégories, Mike Kelley est un assemblage bizarre, étrange, autant qu'anormal. Uncanny, un être qui ne craint pas de rappeler: «Sans l'art, je serais devenu une bête sauvage.»

Emmanuelle Lequeux