«Un punk et un plouc»
Le Petit Bulletin, Grenoble, 7-14 juin 2000, p. 3
Un peu plus que ça, quand même, en vérité. Le Magasin
(Centre national d'Art contemporain de Grenoble) a mis au placard ses vêtements
mi-saison, pour rejoindre ses quartiers d'été. Quatre quartiers
les Galeries, la Rue, la Salle des projets et la cafétéria pour
quatre artistes très différents, sans égard à la
dimension politique de leur travail. La Rue à Fabrice Gigy et les Galeries
à Christopher Williams. Le premier installe des éléments
de manifestations publiques (gradins, stands è hot-dog...) c'est éminemment
conceptuel (une réflexion sur l'Autorité que cristallisent ces
éléments) et ça ne nous parle pas vraiment. Plastiquement
bien plus attractif est le travail du second des séries de photographies
autour du thème de la représentation institutionnelle de l'image
dans un monde moderniste. Jeux d'angles et de couleurs, on peut prendre un certain
plaisir, ludique, è parcourir l'expo… Mais là encore, la
chair manque. Alors c'est davantage du côté de la cafétéria
et de la salle des projets qu'on conseillera aux estivaliers d'aller parfaire
leur bronzage intelligent. Gary Panter et Michael Smith nous y irradient de
leurs ultra-violets respectivement punks et ploucs. Chaussez vos lunettes.
Gary Panter, punk not bêtes.
Il parait que Gary Panter est ravi de voir une partie de sa production présentée
au Magasin. Pourtant, nonobstant la qualité des lieux, le Centre national
d'Art contemporain est bel et bien une institution, de celles que rejettent
les lascars de son acabit. Gary est un punk. Non pas un sniffeur de colle de
gare centrale, mais un représentant de cette sous-culture occidentale,
faite de culte de l'ordure et de la décadence, de nihilisme violent rejetant
l'esthétique et les cadres officiels. Éloignée des armées
britanniques de guignols business-men défoncés, la version américaine
de la punkitude fut une avent-garde artistique. Dans cette tradition, le graphiste
et illustrateur Gary Panter fut tout au long des années 80 le promoteur
d'une imagerie dont l'influence se retrouve jusque dent les fanzines punks européens.
Un dessin noir et chargé, faisant la part belle aux explosions visuelles
de mots, aux errances un peu veines de personnages à crêtes et
rangers ferrées ou à la culture populaire le plus cheap telle
le SF de série Z. Outre ses nombreux flyers et pochettes de disque (Black
Flag, Germs, Screamers…), c'est dans le revue Jimbo et dans sa BD éponyme
que Panter pose les jalons de cette trash-culture. Les personnages font penser
à des Freak Brothers (la cultissime BD hippie de Gilbert Shelton) qui
auraient troqué Jefferson Airplane contre Dead Kennedys. A noter que
le Magasin expose aussi (mais planque un peu, c'est dommage) des planches moins
connues mais très belles de la BD Dal Tokyo. Quand il se fait designer,
Panter emprunte à une poésie surréaliste et à un
burlesque naïf et clinquant il est le créateur des superbes décors
de la célébrissime série TV Pee Wee Herman. Une télé
diffuse en boucle non générique, histoire de nous rappeler qu'on
n'a pas forcément affaire à un Panter noir.
Mike, plouc yankee.
Michael Smith est cet artiste chicagolais schizophrène dont le travail
tourne autour de la vie de Mike, son double et son contraire. En tout Américain
sommeille un indécrottable plouc dont l'insupportable beauferie tient
autant au puritanisme, au complexe de supériorité, au culte de
la réussite (et son corrolaire nocif, la honte de l'échec) qu'à
la paranoïa qui caractérisent son pays. Dès la première
moitié des années 80, Michael met en scène des morceaux
d'existence de Mike au travers de performances, rapidement supportées
par la vidéo. Au Magasin, la rétrospective qui lui est consacrée
compile une dizaine de vidéos allant de 2 à 25 minutes, projetées
ou visibles sur une télé installée dans un ersatz de home
sweet home ricain. Dans une salle attenante, une série d'objets
(la garde-robe de Mike, quelques souvenirs d'enfance…) fait écho
aux frasques audiovisuelles de ce cher Mike. Alors qu'y voit-on ? Mike se fabriquant
un abri anti-atomique, Mike devant sa télé, le clip de campagne
présidentielle d'un Mike en cow-boy de série B (toutes ressemblances…)
ou bien encore Mike nous narrant l'épopée - jusqu'à la
faillite - de Musco, ton entreprise de boules à facettes et autres showlights
de discothèque, dans une esthétique disco qui sied particulièrement
bien à l'imagerie inauthentique du rêve américain de réussite
économique et sociale. C'est kitch, visuellement assez laid, drôle
et tragique à la fois. Car si Mike ne refuse pas la parenté avec
certains TV-shows US - tels Seinfeld (voir son entretien avec John Miller dans
le catalogue que lui consacre le Magasin), c'est davantage vert Butter Keaton
et Jacques Tati que vont ses influences. Derrière notre sourire sarcastique,
affleure finalement une grande tendresse pour ce Mike d'une confondante banalité,
petit bonhomme débonnaire, gauche, perpétuellement décontenancé.
Et parallèlement, on se prend à détester cette écrasante
culture yankee qui surdétermine le personnage forcément sympathique
d'un homme trop attaché à des modèles pour être libre.
David Keller