«Born to be alive»
Les Inrockuptibles, Paris, 27 juin – 3 juillet 2000, p. 58 &
59
Michael Smith est un artiste comique.
Depuis vingt-cinq ans, entre one-man show et performance, il occupe discrètement
la scène artistique avec un personnage de composition : Mike, Américain
moyen et grand fan de disco.
«Salut ! Mon nom est Mike Smith. Bienvenue à ma rétrospective
au Magasin de Grenoble. Comme vous le voyez, nous sommes en train de préparer
l'accrochage !»
Premier contact avec l'artiste américain tout proche de la cinquantaine
et jusqu'ici inconnu en France. Une borne vidéo installée sur
un présentoir comme chez Castorama et Michael Smith en bricoleur du dimanche,
chemise à carreaux et salopette bleue, présente son exposition,
raconte à qui veut bien l'entendre ses petites aventures pour trouver
de l'argent dans les distributeurs, allusion à la grève des convoyeurs
de fonds, fin mai. Plus loin dans les murs du Centre d'art contemporain de Grenoble,
apparaît un petit musée personnel avec sa garde-robe, ses diplômes,
les restes d'un plâtre recouvert de graffitis et, accrochés aux
murs, une dizaine de portraits de famille rappelant certaines installations
de Christian Boltanski et Sophie Calle. Bienvenue donc dans l'univers banal
et loufoque de Mike Smith ou, plus exactement, de Mike, le double artistique
de l'artiste américain. Le sourire aux lèvres, Mike est d'un optimisme
à toute épreuve. Américain moyen, célibataire asexué,
pas encore névrosé ni torturé par des questions existentielles,
fan invétéré de disco, sans véritable emploi fixe,
tantôt artiste, tantôt commercial et parfois même flic en
civil. "Mike existe depuis vingt-cinq ans. L'idée de créer
ce personnage m'est venue par opposition. Je faisais de la peinture abstraite
et ça ne marchait pas. Je n'avais rien à dire. Je cherchais des
idées et c'est à Chicago que tout s'est concrétisé.
J'étais fasciné par les performances d'artistes comme celles de
Vito Acconci et de Chris Burden et, d'un autre côté, je refusais
aussi d'être dans la mouvance punk de l'époque. Alors, un jour,
quand on m'a proposé de faire une performance dans un pub, j'ai inventé
Mike." Personnage neutre et banal à l'image de son créateur
: Michael Smith, le Jacques Martin américain. Une trouvaille fabuleuse
qui aurait pu assurer son avenir de comédien. Mais Smith gère
mal l'affaire… Un début de carrière oscillant entre les
cabarets et les night-clubs, où il se présente comme un comique
et non comme un artiste, préférant au terme de "performance"
celui de "one-man show". Ses sketches séduisent la télévision
: la chaîne câblée HBO, spécialisée dans le
cinéma, lui commande un pilote, mais l'aventure se révèle
sans lendemain. Ses prestations ne sont pas assez percutantes pour le rythme
effréné du petit écran. Alors, avec ses vidéos et
ses performances, Michael Smith, alias Mike, deviendra un Seinfeld discret de
l'art contemporain. Pourtant, son infructueuse carrière reste une énigme
: comment passer inaperçu quand on est un pitre, quand on attire l'attention
de Mike Kelley ou de Tony Oursler et, surtout, quand on réalise au milieu
des années 80, avec William Wegman, une vidéo hilarante sur les
clichés de la photographie ? "Il n'a pas de stratégie
personnelle et son travail ne rentre pas dans une catégorie particulière"
remarque Stéphanie Moisdon du BDV (le Bureau des vidéos, où
paraît une compilation des créations de l'artiste). Smith pratique
le crossover, un savant mélange de références culturelles
populaires et classiques et, du coup, déroute davantage les spécialistes
que le public. "C'est en préparant le catalogue de la collection
vidéo du musée national d’Art moderne que j'ai découvert
Michael Smith, explique Stéphanie Moisdon. Depuis, j'ai montré
son travail un peu partout : à Chalon-sur-Saône, à Genève,
au MK2 Project Café. Chaque fois, c'est une découverte pour le
public." Mais l'Américain est peu suivi par la presse et les
critiques français : un seul article dans Les Cahiers du cinéma
où Mike est comparé à Buster Keaton, image facile à
décrocher pour tout artiste contemporain évoluant dans la sphère
comique et touchant à la dérision. Pourtant, "son oeuvre
est un vrai projet d'utopie, un travail sur l'échec", souligne
Stéphanie Moisdon. Pour le public français, l'artiste de l'échec,
c'est Pierrick Sorin.
Mais Michael Smith lui donne une autre dimension, il ne s'arrête pas au
bol renversé ni à la vidéo ratée, il vise l'american
way of life : à l'image de Musco, une vidéo fabriquée
comme un reportage commercial sur un chef d'entreprise spécialisé
en luminaires pour discothèques qui dépose le bilan. Perdant,
en faillite, mais toujours le sourire aux lèvres et l'allure du winner...
Down the rec room et Mike, ou comment l'individu moyen, pris
entre les représentations de la télé et les paillettes
du disco, s'invente des histoires, fictionne son quotidien. Sur fond de musique
tout droit sortie de séries policières, caché derrière
une porte de son appartement, il mime les gestes d'un détective privé,
capte l'atmosphère en jouant avec les lamelles d'un store… Mais
au bout du compte, il ne se passe jamais rien. "Michael Smith s'inscrit
dans une tradition critique très américaine sur les médias
et sur l'identification du personnage, analyse Stéphanie Moisdon. Il
possède une dimension très jubilatoire. Il a une position singulière,
un rapport utopique et infantile avec la chose télévisuelle, qu'il
absorbe : il est à la fois le médium et le message."
Nicolas Thély