Robert Barry


 

Daniel Soutif
"Robert Barry descend dans « la rue »"
Libération, Paris, 22 août 1989


Sous le titre « The Red and Gold Piece », oeuvre grandiloquente où le conceptuel vire au décoratif, l'artiste américain a repeint de rouge « la rue » du Magasin. A ses côtés, les travaux d'Ulrich Horndash et Kasuo Katase, deux jeunes artistes. Pas très convaincants non plus.
Vingt ans après sa naissance à New York, l'art conceptuel connaît des formes de survie parfois bien paradoxales. Initialement voué à la négation de l'objet ou, du moins, à la réduction des composantes visuelles de l'art, cette forme-limite de pratique artistique dont, au temps des expositions organisées par Seth Siegelaub, les protagonistes principaux furent Joseph Kosuth, Douglas Huebler, Lawrence Wiener et Robert Barry, s'est vu toujours plus contrainte de prendre en compte la nécessaire visibilité de l'art.
Dans certains cas même, le conceptualisme ne recule pas devant une dimension monumentale pour le moins inattendue de la part d'artistes qui entendaient ne pas encombrer le monde d'objets supplémentaires. De ce paradoxe témoigne tout particulièrement la gigantesque installation réalisée par Robert Barry au Magasin de Grenoble.
Sous le titre « The Red and Gold Piece », l'artiste américain a en effet intégralement repeint en rouge l'immense espace surnommé « la rue ». Sur ce fond rouge, qui naturellement investit tout le champ perceptif du spectateur, ont été peints en lettres dorées des mots ou des fragments de mots anglais:
« Too much », « Understood », « Love », « Wanted », « Asked », etc. A ce stade, le conceptualisme s'inverse en décoration. Il suffit d'ailleurs de comparer cette réalisation monumentale avec l'ouvre ancienne également montrée dans un autre espace de Magasin pour mesurer la différence.
Datant de 1971, cette oeuvre intitulée It is..., consiste également en mots, mais cette fois les mots en question - « Individual », « Confined », « Accessible »,
« Limited », « Planned », « Involved » , « Divisible », « Explainable », etc. - ne s'imposent au regard du spectateur qu'un bref instant puisqu'ils sont simplement projetés tour à tour sur un écran. Usant de moyens très modestes, cette oeuvre se révèle d'autant plus suggestive et atteint bien plus efficacement son but. Là, s'instaure effectivement, via la polysémie des termes qui lui servent de support, cette relation entre la pensée et la perception du regardeur qui fut la visée essentielle de l'art conceptuel. Tandis, donc, que The Red and Gold Piece sombre dans une forme de grandiloquence gratuite où le pouvoir évocateur des mots s'éteint, It is... montre au contraire le conceptualisme sous son jour le plus convaincant.
En même temps que Robert Barry qui fait aujourd'hui figure de classique, sont présentés deux jeunes artistes dont les préoccupations sont dans une certaine mesure proches de celles du conceptualisme. Né en 1951, Ulrich Horndash a ainsi réalisé une grande peinture murale d'esprit quelque peu constructiviste, à ceci près qu'elle sert de support à des photographies qui montrent les phases successives de la destruction par explosion d'un immeuble moderniste et d'autre part une foule peut-être tournée vers ce spectacle.
Fixé en Allemagne depuis quatorze ans, le Japonais Kasuo Katase a, pour sa part, installé dans une semi-pénombre une oeuvre mêlant assez confusément des références à la culture picturale occidentale et une sculpture dont le sommet évoque une paire d'ogives de missiles. Ni l'un ni l'autre de ces travaux laborieusement scolaires ne convainc.