Guillaume Bijl
M.G.
"Caravan show et Broken music"
Kanal magazine, Paris, novembre/décembre 1989
Les deux dernières expositions programmées par Jacques Guillot ont été deux évènements, en donnant carte blanche à Guillaume Bijl pour son environnement style Grand Magasin et à Ursula Blok pour la monstifion sonore et visuelle des artistes du son depuis les années soixante.
On doit le titre Broken Music à un artiste Fluxus tchèque,
Milan Knizak, qui depuis les années 60 fabrique des disques à partir
de fragments de disques cassés et rayés, réalisant les
premiers collages sonores, sortant le son de sa partition, lui redonnant une
valeur brute insoupçonnée, à la suite des idées
futuristes (L'art des bruits de Russolo) et dada. John Cage, un des
parrains du mouvement Fluxus avait, dès les années 40, introduit
la notion de piano préparé (transformant le clavier
en une machine bruitale étonnante, en introduisant divers matériaux
entre les cordes, sous les cordes, sur les cordes. Puis il déclara un
jour "Tout est musique". Alors le concept de broken music pouvait
apparaître.
Ursula Blok qui a fondé Gelbe Musik, en 1981, le premier lieu consacré aux
disques d'artistes (expositions sonores et visuelles, magasin de disques, cassettes
et catalogues) à Berlin, a organisé cette exposition très
particulière avec Michael Glasmeier (Berlin, La Haye, Grenoble). Il
est triste que Paris n'ait pu profiter d'un tel évènement. Encore
plus triste que nous n'ayons pas le moindre petit lieu consacré à ces
expériences, au-delà des frontières entre les arts plastiques
et la musique.
On a pu voir des installations et sculptures de disques de Knizak et de Cage
plus particulièrement : chacun pouvait choisir une série de disques
sans indication d'auteur ou de pièces et les installer sur des platines.
Concert improvisé par le hasard. Une idée fondamentale de Fluxus.
Etaient exposés des disques objets-d'art, des pochettes produites par
des plasticiens, des livres ou catalogues incluant un disque... Enfin tout
ce qui tournait autour du disque avec une participation majoritaire des artistes
Fluxus (Cage, Paik, Maciunas, Beuys, Filliou, Vostell, Christiansen, Ben, William,
Knizak...) et des artistes des années 70 comme Weiner, Sarkis ou des
années 60 comme Dubuffet et Klein.
Le catalogue est un monument encyclopédique qui parcourt le siècle
sous une forme alphabétique, accompagné d'une riche iconographie.
Guillaume Bijl, anversois, qui représentait la Belgique à la
dernière Biennale de Venise, transforme le concept de ready-made inventé par
Duchamp mais limité à l'objet industriel, déplacé et
sublimé par la galerie et le musée; ce n'est plus un objet qui
est déplacé mais un environnement complet de la culture quotidienne
du magasin, du supermarché, de la salle de gymnastique... Ce qui n'était
pas vu en tant que tel, mais seulement utilise, est saisi grâce à son
installation dans la galerie ou le musée comme objet esthétique.
Nous sommes confrontés à une culture de supermarché. Bijl
nous le rappelle et du même coup brise l'hypocrite frontière entre
les objets de consommation multipliés industriellement et l'objet d'art
unique, offrant le statut d'art à de l'utilitaire et rendant hommage
au designer anonyme de l'objet industriel.
Détournement d'autant plus intéressant que s'ouvrent des musées
consacrés aux objets industriels et que de nouveaux collectionneurs
apparaissent. Bijl remet en cause ironiquement l'ancien statut fondé sur
la hiérarchie des valeurs et des classes et montre la beauté de
l'objet utilitaire, sans commentaire. Avec l'installation Caravan Show dans
la rue du Magasin il ne pouvait espérer meilleure situation, dans une
zone industrielle, dans un ancien entrepôt, face aux établissements
Rebatet. Le pop-art représentait en tableaux les objets du quotidien,
ici on présente tels quels les objets comme dans un salon professionnel.