Daniel Buren


 

Elyane Gérome
"Inauguration du centre national d'art contemporain: le face-à-face Léotard-Buren"
Le progrés de Lyon, Lyon, 27 avril 1986


De mémoire d'amateur d'art on n'avait jamais vu une telle foule pour l'inauguration un lieu culturel, à plus forte raison d'un Centre national d'art contemporain, lieu d'accueil pour la création artistique expérimentale. Les trois mille mètres carrés du Magasin, dans le site Bouchayer-Viallet, étaient en
effet pleins à craquer: des milliers de personnes, des artistes bien sûr, des culturels, mais aussi des curieux sans compter les refusés, ceux qui n'avaient
pas leur carton d'invitation !
L'escalier qui conduit aux bureaux étaient devenu tribune pour les officiels: deux ministres et un délégué aux Arts plastiques. Alain Carignon, maire de Grenoble et ministre de l'Environnement, accueillait François Léotard, ministre de la Culture, et Claude Mollard qui assura, au ministère, le suivi du projet.
La Ville, en effet, avait acheté cette grande halle, une porte de nef industrielle dont les structures métalliques sorties, des ateliers de Gustave Eiffel, avaient abrité des ateIiers de constructions mécaniques jusqu'en 1965. C'est là que l'on décida l'aménagement du C.N.A.C. Aujourd'hui, six-mois plus tard, avec l'aide de la ville, de l'Etat, de l'Etablissement public régional et du Conseil général de l'Isère (15 millions), l'architecte Patrick Bouchain et le directeur Jacques Guillot livrent un C.N.A.C. original qui a respecté le lieu, laissé apparentes les traces du passé, mais s'est aménagé des salles d'exposition propices à l'art
expérimental, un auditorium de cent places, deux ateliers d'artistes, des lieux, d'hébergement.
La nef centrale devient "la rue" , vingt et un mètres de haut, prête à accueillir les oeuvres qui sauront l'occuper. Actuellement, elle est totalement habitée triomphalement même, par une installation de Daniel Buren, rayée rouge et blanc, qui illustre efficacement le jeu de la perspective. On ne voit qu'elle ! Et tous les assistants guettaient ce face-à-face du nouveau ministre de la Culture avec l'artiste contesté du Palais Royal.
Le tête-à-tête, une trentaine de minutes, Léotard-Buren avait eu lieu dans l'aprés-midi. Le face-àface avec l'oeuvre monumentale incitait peut-être le ministre à évoquer, dans son discours, la dialectique entre la liberté de l'artiste et sa soumission au public, la rupture de l'art d'aujourd'hui avec le patrimoine. Il reprenait ainsi un des thèmes qui lui est cher: la culture et les jeunes par l'intermédiaire de l'enseignement artistique.
On se souvient de la polémique soulevée par les colonnes de Buren du Palais Royal à Paris. Projet accépté par l'Etat, commencé puis remis en cause en février dernier, puis à nouveau remis en chantier avant d'être violement contesté par le nouveau gouvernement. L'affaire est exemplaire: l'Etat manque à sa parole, semble se laisser influencer par "quelques grincheux", et par là briser la liberté. de l'artiste. Chacun observe la façon dont le ministre se sortira de la situation, prêt le juger sur sa décision.
Enfin Daniel Buren (il fut un des premiers artistes à exposer au Nouveau Musée de Villeurbanne) essaie calmement et fermement de demander qu'on
respecte le contrat, qu'on attende pour le juger que son oeuvre soit terminée : "Une oeuvre ne peut en aucun cas exister à cause d'un référendum ou d'une vox populi quelconque... Une véritable cabale fait plier l'artiste. Une seule solution: le droit moral, le plus ancien, le plus fort qu'on ait en France et qui est mis en cause par l'Etat lui-même ! Après, on parlera de la qualité de son oeuvre; d'ailleurs, elle parlera d'elle-même..."
"On m'accuse de détruire le site, or mes oeuvres ne font jamais obstruction, elles sont toujours en rapport avec le lieu. J'ai travaillé dans des lieux prestigieux comme des églises italiennes. Ici, je ne touche à rien: on n'a jamais aussi bien vu les lieux. On oublie que cette cour était un ancien parking..."
On disait, dans les milieux bien informés, que le ministre se prononcerait, mardi. Voilà un C.N.A,C. qui assure sa popularité sur une affaire qui devient. nationale... Une affaire d'Etat, en somme !