Cinéma(s)



 

"L'art contemporain à Grenoble à nouveau en Magasin"
Le Monde, Paris, 26 janvier 2006, p. 27

Le Magasin, centre d'art contemporain de Grenoble, a rouvert samedi 21 janvier après deux ans de travaux.

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C'est pourtant à un regard sur le passé local qu'invite Yves Aupetitallot, directeur du Magasin, pour sa principale exposition inaugurale, «Cinéma(s)», car Grenoble, s'en souvient-on, a abrité quelques pionniers en la matière. Et d'abord Jean Pierre Beauviala, qui y créa en 1971 la société Aäton. Il y concevait des caméras. « En fait, confiait-il en 1985 à L'Autre Journal, je suis venu au cinéma par l'urbanisme (...). Un jour, j'ai voulu faire un film qui montrerait que le phénomène des quartiers était essentiel, que dans les villes neuves qu'on nous promettait à l'époque, c'était en 1968, cet aspect fondamental du quartier était abandonné... »

Un atelier sans contraintes
Vision prophétique à plus d'un titre, qui lui fait concevoir d'abord une caméra susceptible d'être portée à l'épaule, puis une autre, de la taille d'une lampe de poche, qui fit carrière sous le nom de « Paluche ». Il s'agissait d'être plus près du réel. L'engin et son concepteur attirent à Grenoble des personnalités comme Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville.

Mais la ville est aussi pionnière dans deux autres registres la première télévision câblée de proximité y est créée en 1974, et un professeur de dessin, Pierre Casalegno, crée dans son lycée un atelier ouvert, sans contraintes d'horaires ni de pédagogie. Sur ses bancs se rencontreront des jeunes gens nommés Philippe Parreno, Dominique Gonzalez Foerster, Pierre joseph, Philippe Perrin, Bernard Joisten ou Claire Chevrier qui, avant de devenir des vedettes de l'art contemporain, ont appris là-bas à travailler en commun, et à aimer les images qui bougent.
C'est ce contexte que restitue l'exposition «Cinéma(s)», dominée par la figure d'un des grands professeurs de l'école de Grenoble, Ange Leccia, et qui ne se limite pas à la projection de films. On y reverra par exemple la terrible installation de Philippe Perrin, Know Your Rights. Hommage à Jacques Mesrine, une BMW aux portières ouvertes, l'autoradio poussé à fond diffusant une chanson des Clash, et le pare brise criblé d'impacts de balles. Ou le plus sympathique mais tout aussi inquiétant personnage d'Ann Lee, une figure de manga (dessin animé japonais) rachetée à ses concepteurs par Dominique Gonzalez Foerster, Philippe Parreno et Pierre Huyghe, puis confié à une vingtaine d'autres artistes qui filèrent ces dernières années leurs propres variations sur ce thème. Une exposition indispensable pour qui veut comprendre la genèse d'un pan de l'art contemporain français.

HARRY BELLET

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