Geneviève Breerette
"Concept, humour et réalisme" (extrait)
Le Monde, Paris, 6 Juin 1988
Une bonne dizaine de musées et de centres d'art
de la région Rhône-Alpes exposent des créateurs venus
des Pays-Bas.
Echange de bon procédé : l'année dernière, la France
envoyait ses artistes en Hollande. C'est au tour des Néerlandais d'exposer
dans notre pays. D'où le nom de l'opération : Vice versa, dont
le principe mérite d'être retenu. En effet, pour être chapeautée
par des organismes d'Etat néerlandais et français. Conservateurs
et directeurs de centres d'art ont pu accueillir chez eux l'artiste qu'ils
voulaient. Ce qui produit toujours de meilleures rencontres que dans le cas
de figures imposées, même si, au bout du compte, il manque un
je-ne-sais-quoi pour couronner l'ensemble des manifestations éparpillées
entre Saône et Rhône, Isère et Loire.
Les choix se sont portés sur des individualités, à un
regroupement de céramistes près (au Musée Dechelette de
Roanne), et la totalité des expositions ne donnent sûrement pas
une image exhaustive de l'art d'aujourd'hui aux Pays-Bas. Mais cela en dit
pourtant assez long sur un regain de vivacité, après, semble-t-il,
une mauvaise passe. Le néo-expressionnisme n'allant pas si bien que ça
aux artistes néerlandais, moins bien en tout cas que les jeux conceptuels
doublés d'ironie, d'humour et de fantaisies picturales, permettant, à l'occasion,
d'être presque en paix avec l'héritage du passé. Tout ce
qu'on aime aujourd'hui, en somme, et qu'en Rhône-Alpes, région « branchée »,
on a d'ailleurs préféré le plus souvent montrer. Voir,
par exemple, Harald Vlugt et Ger Van Elk, qui sont respectivement le plus jeune
et le plus connu des artistes présentés à Vice versa.
[...]
Géométrisme systématique
Quant à Van Elk, on le retrouve au Magasin, à Grenoble, avec
un bon nombre de tableaux extraits des séries de portraits, de natures
mortes, de paysages et de bouquets que, depuis six ans, il verse à son
inventaire analytique des genres traditionnels. Quitte à passer pour
un peintre kitsch ayant perdu la bonne distance critique que naguère
il avait vis-à-vis de la peinture. Ce qui n'est pas vrai, bien sûr.
Mais il s'amuse à entretenir l'ambiguïté en recréant
fort habilement l'illusion d'une peinture à l'ancienne à coups
de drippings dans les bouquets, de cols blancs sur fond sombre dans les portraits
en pied, cravatés, qui sont d'ailleurs toujours des autoportraits
y compris quand il s'agit du Président de la République FM,
dûment balisé de bleu, de blanc et de rouge pour affirmer la couleur
très matériellement, comme ailleurs Van Elk affirme par les formats
fantaisistes et même par de gros reliefs la matérialité de
ses tableaux.
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