Images, objets, scènes

 

« Fabriqué en France exposé à Grenoble et à Paris »
Beaux Arts magazine, paris, février 1997, p.32


« L'Art en France depuis 1978 », au Magasin de Grenoble, semble à la fois une exposition bilan et une exposition engagée. On pourrait en ce sens situer le travail de son commissaire, Yves Apetitallot, dans la continuité des « Tendances de l'art en France 1968-1978/9 » proposées il y a un peu moins de 20 ans au musée d'Art moderne de la ville de Paris. Comme le spécifiait à l'époque Suzanne Pagé, la directrice du musée, à propos des partis pris des commissaires de l'exposition, Marcelin Pleynet et Gérard Gassiot-Tallabot, il ne s'agit pas aujourd'hui de « dégager un visage spécifiquement "français" » de la production artistique contemporaine. A travers les oeuvres d'une trentaine d'artistes, de Jean-Luc Vilmouth, Bernard Frize à Marylène Negro, Fabrice Hybert ou Philippe Parreno, c'est l'existence d'une avant-garde traversée par des courants de pensée internationaux qui est envisagée, et non la revendication d'une identité ou même d'un « génie » national. Afin d'en dégager certaines tendances, l'exposition s'articule autour de six thèmes souples dont « les Images cachées », permettant de confronter les images tactiles de Patrick Tosani aux Walt Disney Productions de Bertrand Lavier. C'est ainsi qu'« il n'y a toujours pas d'art français », écrit dans son essai introductif Eric Troncy. II poursuit de la sorte la traque ironique d'une rumeur ambiguë qui courait dans les années 80 et à laquelle le Magasin avait déjà consacré une manifestation en 1989. On comprendra sa persévérance en lisant, en exergue de ce texte, la réponse d'un membre du groupe de rap NTM (Nique ta mère) à la question brûlante : « Êtes-vous fier d'être Français ? »
Une question que l'on devrait se retourner après leur condamnation pour « outrage » l'automne dernier. Dans un autre registre - peut-être plus provocateur que subversif- le groupe d'artistes Présence Panchounette est quasiment le seul à être représenté simultanément à Grenoble et au Musée national d'Art moderne, dans le cadre de l'accrochage « Made in France » des collections. Curieusement, analysent rétrospectivement certains, l'acquisition tardive par Beaubourg d'une oeuvre de Présence Panchounette en 1984 marque les débuts de leur notoriété, donc l'apparition de leurs premiers vrais ennemis, et par conséquent les prémices de leur dissolution en 1990. Le passage à l'institution pose évidemment un problème lorsqu'il s'agit d'évoquer un art « vivant ». Le parti pris de Germain Viatte, directeur du Musée national d'Art moderne, choisissant d'exposer un panorama de la production artistique réalisée en France entre 1947 et 1997, peut ainsi paraître plus historique ou plus consensuel. Cependant, même si la sélection d'artistes récents diffère inévitablement de l'une à l'autre des expositions, les propositions de Beaubourg et de Grenoble peuvent se rejoindre. A travers cet accrochage, écrit Germain Viatte, le musée souhaite, en effet, refléter « les espérances d'une communauté cosmopolite, active sur un même sol, qui résulte d'une incroyable sédimentation d'attirances, de présences, d'intelligences, de recherches ». Aussi, la volonté d'éviter la chronologie, les classifications par école ou par catégories fourre-tout (Informel et autres Abstraction lyrique) dépoussière-t-elle plutôt la vision d'une période s'enracinant dans l'après-guerre. On n'est pas obligé de s'extasier devant les toiles de Charles Lapicque ou de Judith Reigl ou, inversement, d'ignorer la présence sans doute discrète d'une oeuvre aussi complexe et intéressante que celle d'André Cadéré. Mais l'objectif est, de ce point de vue, de sortir certaines oeuvres des réserves pour s'interroger, justement, sur le fondement de nos propres réserves à leur égard.

Charles Bécel