« L'Art en France depuis 1978 », au Magasin de Grenoble, semble
à la fois une exposition bilan et une exposition engagée. On pourrait
en ce sens situer le travail de son commissaire, Yves Apetitallot, dans la continuité
des « Tendances de l'art en France 1968-1978/9 » proposées
il y a un peu moins de 20 ans au musée d'Art moderne de la ville de Paris.
Comme le spécifiait à l'époque Suzanne Pagé, la
directrice du musée, à propos des partis pris des commissaires
de l'exposition, Marcelin Pleynet et Gérard Gassiot-Tallabot, il ne s'agit
pas aujourd'hui de « dégager un visage spécifiquement "français"
» de la production artistique contemporaine. A travers les oeuvres d'une
trentaine d'artistes, de Jean-Luc Vilmouth, Bernard Frize à Marylène
Negro, Fabrice Hybert ou Philippe Parreno, c'est l'existence d'une avant-garde
traversée par des courants de pensée internationaux qui est envisagée,
et non la revendication d'une identité ou même d'un « génie
» national. Afin d'en dégager certaines tendances, l'exposition
s'articule autour de six thèmes souples dont « les Images cachées
», permettant de confronter les images tactiles de Patrick Tosani aux
Walt Disney Productions de Bertrand Lavier. C'est ainsi qu'«
il n'y a toujours pas d'art français », écrit dans son essai
introductif Eric Troncy. II poursuit de la sorte la traque ironique d'une rumeur
ambiguë qui courait dans les années 80 et à laquelle le Magasin
avait déjà consacré une manifestation en 1989. On comprendra
sa persévérance en lisant, en exergue de ce texte, la réponse
d'un membre du groupe de rap NTM (Nique ta mère) à la question
brûlante : « Êtes-vous fier d'être Français ?
»
Une question que l'on devrait se retourner après leur condamnation pour
« outrage » l'automne dernier. Dans un autre registre - peut-être
plus provocateur que subversif- le groupe d'artistes Présence Panchounette
est quasiment le seul à être représenté simultanément
à Grenoble et au Musée national d'Art moderne, dans le cadre de
l'accrochage « Made in France » des collections. Curieusement, analysent
rétrospectivement certains, l'acquisition tardive par Beaubourg d'une
oeuvre de Présence Panchounette en 1984 marque les débuts de leur
notoriété, donc l'apparition de leurs premiers vrais ennemis,
et par conséquent les prémices de leur dissolution en 1990. Le
passage à l'institution pose évidemment un problème lorsqu'il
s'agit d'évoquer un art « vivant ». Le parti pris de Germain
Viatte, directeur du Musée national d'Art moderne, choisissant d'exposer
un panorama de la production artistique réalisée en France entre
1947 et 1997, peut ainsi paraître plus historique ou plus consensuel.
Cependant, même si la sélection d'artistes récents diffère
inévitablement de l'une à l'autre des expositions, les propositions
de Beaubourg et de Grenoble peuvent se rejoindre. A travers cet accrochage,
écrit Germain Viatte, le musée souhaite, en effet, refléter
« les espérances d'une communauté cosmopolite, active sur
un même sol, qui résulte d'une incroyable sédimentation
d'attirances, de présences, d'intelligences, de recherches ». Aussi,
la volonté d'éviter la chronologie, les classifications par école
ou par catégories fourre-tout (Informel et autres Abstraction lyrique)
dépoussière-t-elle plutôt la vision d'une période
s'enracinant dans l'après-guerre. On n'est pas obligé de s'extasier
devant les toiles de Charles Lapicque ou de Judith Reigl ou, inversement, d'ignorer
la présence sans doute discrète d'une oeuvre aussi complexe et
intéressante que celle d'André Cadéré. Mais l'objectif
est, de ce point de vue, de sortir certaines oeuvres des réserves pour
s'interroger, justement, sur le fondement de nos propres réserves à
leur égard.
Charles Bécel