Images, objets, scènes

 

« Tous en scène ! »
Le Figaro, Paris, 18 février 1997, p. 19

Un parti pris courageux mais pas toujours bien tenu en faveur des artistes français apparus depuis 1978.

Que se passe-t-il au Magasin à Grenoble ? Après la longue vacance qui a suivi le départ d'Adelina von Fürtsenberg. Yves Aupetitalot a pris les rênes du centre d'art. Sous la verrière en piteux état, le redémarrage s'effectue non sans difficulté lentement mais sûrement. L'exposition actuelle s'affirmant presque comme un manifeste.
Si le titre un peu vieillot et inutilement alambiqué, « Image, objets, scènes » peut faire sourire, le sous-titre, lui, indique bien de quoi il s'agit : «Quelques aspects de l'art en France depuis 1978». 1978 est l'année qui, selon Yves Aupetitalot, marqua «la fin du superbe isolement français ».
L'exposition « Partis pris » sert de borne à l'exposition que voilà. Elle vit donc en 1978 deux critiques d'art - Gérald Gassiot-Talabot et Marcelyn Pleynet - réaliser à l'ARC deux expositions en accord avec leurs goûts et les artistes non sélectionnés par eux se réunir et proposer une exposition intitulée « Partis pris autres », chacun d'eux choisissant et parrainant un artiste plus jeune. C'est ainsi qu'on vit apparaître Vilmouth.
Dans l'exposition du Magasin avec son étrange « Bar des acariens », il s'impose aujourd'hui en figure tutélaire, non seulement comme virtuose de l'installation, féru d'écologie, mais comme professeur à l'École des beaux-arts de Grenoble, «accoucheur» d'une nouvelle génération d'artistes parmi lesquels il découvrit Parreno, l'un des plus intéressants jeunes artistes d'aujourd'hui.
Celui-ci présente une oeuvre, déjà remarquée, faite d'un monologue plein d'humour proféré dans une langue inventée, incompréhensible, l'artiste paraissant répondre à une interview réalisée pour le cinéma ou la télévision.
Le principal mérite d'Yves Aupetitalot est de rappeler ce qui s'est fait en France depuis une vingtaine d'années. Du moins en partie et avec quelques oublis importants : Bouillon, Tsekoura, Aballéa, Hybert, Boudier, Roudenko-Bertin, Neu et une étrange impasse sur ta plus jeune génération.
La cohérence de ce qui est montré s'affirme peut-être à ce prix. Cela dit, tout n'est pas non plus du meilleur niveau. A base de flûtes à champagne et de logos, de propos de Philippe Cazal - d'autre part excellent graphiste - se révèle quelques années après d'une redoutable insignifiance. Les ready-mades appartiennent à tout le monde de Philippe Thomas s'avèrent, déjà, terriblement datés.
« Rien ne se démode plus vite que la mode », disait Cocteau. L'artiste bicéphale Bazilebustamante, quant à lui, paraît oublier que l'art - fût-il conceptuel - passe toujours par une forme...
Le meilleur ? Lévêque avec des installations dures et tendres attentives à la fois aux destins personnels et collectifs. Leccia qui se révèle là, magnifiquement, dans sa double nature extravertie et poétique. Lavier avec ses étonnants Walt Disney, oeuvres réalisées à partir des tableaux modernes mis au mur des appartements des héros de ses BD par Walt Disney, figurant ainsi à traits rapides une sorte d'image type de l'art moderne que se réapproprie Bertrand Lavier en l'agrandissant, en la magnifiant et en l'accrochant à la cimaise du musée.
Du côté des plus jeunes, Xavier Veilhan rassemble des images types familières où tout repère d'échelle a été évacué. Voici, à la manière de L'Homme sans qualités de Musil, des objets sans qualités particulières non pas une vache mais la vache, la pelleteuse, le pont, le sousmarin…
Bernard Joisten montre la photographie d'une éclipse, cette photographie elle-même éclipsant un « soleil » fait de cinq projecteurs accrochés au mur, Pierre Huyghe projette une vidéo montrant différents membres d'une assemblée lisant une « bande passante » située hors champ, et que nous voyons nous-même courir sous l'image.
Le cinéma et son imaginaire hantent l'exposition réunissant Elisabeth Ballet, Bernard Frize, Dominique Gonzalez-Foerster, Jacques Vieille, Alain Sechas, Hubert Duprat, Patrick Tosani, Michel Aubry, Mais on s'étonne de l'absence de l'imaginaire télévisuel. Sans doute aurait-il fallu montrer de plus jeunes artistes encore. Leur absence ici, répétons-le, intrigue. Pourquoi ce manque ?
Tout cela s'organise autour de quelques thèmes ou repères (« Etre artiste, faire l'artiste », « Architecture et représentation allégorique », « L'effet mise en scène ») qu'on pourra aisément oublier. Chacune des oeuvres procède, en effet, de tous ces intitulés et s'en échappe à la fois. Heureusement.

Michel Nuridsany