Résidences d’artistes dans le Trièves
«Plantes vertes et lien social»
Le Monde (supp l’Eté culturel en Rhône-Alpes), Paris,
28 juin 1998, p.10
La nouvelle opération «hors les murs» du Magasin de Grenoble
installe trois jeunes artistes dans le Trièves, pour qu'ils créent
autour du paysage et de ses habitants.
C'est par une collecte de plantes vertes à Mens, commune du sud
de l'Isère, qu'a débuté la nouvelle opération «
hors les murs » du Magasin, alias Centre national d'art contemporain de
Grenoble. Trois cent cinquante plantes d'appartement ont quitté leur
salon familier pour passer ensemble un week-end à l'espace culturel,
et leurs propriétaires se sont rencontrés convivialement, comme
devant des portraits de famille, dans cette serre improvisée. Marie Denis,
une des trois bénéficiaires des «Résidences d'artistes
dans le Trièves», avait suscité cette migration de pots
afin de prendre ses marques sur le territoire où elle doit vivre et travailler
tout l'été : une façon de faire connaissance avec les gens
du coin, et d'expliquer que la nature constitue un bon terreau artistique, surtout
si on la stimule avec du lien social.
Depuis sa prise de fonctions à la tête du Magasin, en 1996, Yves
Aupetitallot a multiplié semblables résidences d'artistes hors
les murs, en particulier dans les quartiers de Grenoble marqués par une
forte identité. A la Villeneuve, au Village olympique ou dans le quartier
Berriat, les artistes invités ont disposé de lieux de travail
et de matériaux pour l'imagination : des architectures, des histoires
locales, les traces d'aventures urbanistiques et humaines. Le dernier groupe
de résidents a pu ainsi inventer une signalétique d'art de la
gare à Saint-Bruno, en utilisant notamment les arrêts de trams
et le mobilier urbain pour des installations sonores et visuelles.
«Résidences d'artistes dans le Trièves» résulte
d'une collaboration entre le Magasin et le Musée dauphinois, histoire
d'associer l'entretien du patrimoine et sa réactivation par l'art. «Le
Trièves nous a semblé un site intéressant car exemplaire,
dit Yves Aupetitallot. Par son autonomie géographique en même
temps que sa diversité : on y trouve les lignes de partage entre langue
d'oil et langue d'oc, entre catholicisme et protestantisme, et il constitue
un modèle de société composite.»
Les trois artistes choisis pour ce séjour au vert travaillent sur le
portrait et la représentation du paysage avec des moyens différents
: l'installation pour Marie Denis, Ardéchoise passée par l'Ecole
d'art de Lyon, la peinture pour le Chinois de Dijon Yan Peï-Ming, la photographie
pour le Stéphanois Jean-Louis Schoellkopf. Celui-ci, qui s'intéresse
depuis longtemps à la relation qu'entretiennent ses «sujets»
avec leur territoire, leur environnement familier, pourrait réaliser
cet été des portraits comportant cette dimension sociologique.
Pour l'heure, toutefois, il travaille plutôt sur les paysages, aux alentours
de Tréminies où il est installé, en tournant le dos à
la montagne. Ce qui l'intéresse, c'est «la campagne habitée,
civilisée», à l'échelle humaine, où les
objets, les lieux cultivés, les signes d'une vie industrieuse constituent
des images en creux des habitants. Tandis que Yan Peï-Ming réalisera
ses grands portraits brossés dans l'énergie en faisant poser des
enfants de Sinard, Marie Denis va inventer de nouvelles façons de perturber
poétiquement la réalité.
Parmi ses projets : une ouverture festive de la piscine municipale, début
juillet, avec matériels d'arrosage empruntés aux jardiniers, et
la mise en réseau sonore des maisons de Mens avec l'aide de la radio
locale. «Il ne s'agit pas de jouer les agents d'ambiance, dit-elle,
mais de tisser toutes sortes de liens avec les gens du pays.» Des
liens qui soient aussi des offrandes, car même si des oeuvres sont exposées
ici ou là dans le courant de l'été, le but de la résidence
est plutôt de l'ordre du «maillage du territoire», comme dit
Jean-Louis Schoellkopf. Il envisage d'ailleurs de déposer dans les maisons
les portraits qu'il réalisera, pour que soit restitué au Trièves
ce que ses habitants auront donné. Yves Aupetitallot accepte ce refus
d'ostentation. Les opérations «hors les murs » sont pour
lui non des occasions de montrer l'art, mais plutôt «des laboratoires
pour réancrer les pratiques culturelles dans la réalité
d'une société».
Bernadette Bost