John Baldessari
Daniel Dobbels
"On trouve tout au Cnac"
Libération, Paris, 27 mai 1987
Archet discordant et harmonies silencieuses (Baldessari), clichés champêtres
et vent tournant (Fridfinnson), parcours chiffré et pots cassés
(Bouillon), le client, n'est jamais déçu par sa visité au
Magasin.
A quoi pense donc John Baldessari quand il conçoit sa Composition
pour violon et voix (mâles), une partition, hors mesure, de portraits
photographiques accrochés dans cette partie du Magasin que l'on nomme « la
Rue »? Peut-être à cette judicieuse question de Cage: « Apprend-on à mal
se tenir quand on apprend à connaître la musique? » Pour
le visiteur, assuré de ne pas être là pour passer une audition,
cette question a valeur de pizzicato: d'emblée il en pince pour l'immense
Violon dont la courbure plastique adoucit les moeurs et promet des concordances
inouies avec l'Archet qui lévite au fond de « la Rue ».
Le propos, concerté, discordant mais mélodique de Baldessari
se tient bien dans ces intervalles qui séparent une musique du corps
de ses auditeurs et, plus précisément, de leur tête. De
celle qu'ils font quand un son, un bruit, un silence, une rengaine ou un concerto
viennent à passer par là, à même les tempes, les
joues, les dents, les yeux ou les cheveux. Autant dire que la musique qui envahit
et déserte l'espace inventé par Baldessari ne dénote pas
un instant: elle joue de ses stridences, de ses sifflements, de ses souffles,
ou de ses harmonies en gardant jalousement le silence. Les portraits, étagés
sur trois lignes de tensions - basse, médium, haute - sont répartis à distance
(des blancs les séparent) pour mieux marquer la singularité de
leur écoute et de leur étonnement.
Qu'il y ait de la musique! Voilà bien la plus grande stupeur. Que l'on
n'en meurt pas! Voilà la grâce. Voilà aussi ce qui motive
que cette galerie de portraits presque anonymes passe du blanc au vert, du
rouge au bleu, comme l'on passe de la peur à la rage, de la colère à la
lucidité.
En ce sens, ce que montre Baldessari, c'est que nous sommes tous mélomanes,
mais toujours à notre corps défendant. Et qu'il n'y a pas d'écoute
le temps n'est pas encore venu d'une entente - sans subtils, calmes ou violents
décrochages, sans que la tête ne soit l'objet d'un déphasage,
d'un retard ou d'une anticipation, ne serait-ce que pour manifester son libre-arbitre,
son entêtement à se récrier, décrier ou même
crier son refus. Refus de voir son cri se mêler à la grande partition
générale où la musique a raison de tout...
(...)