John Baldessari


 

H.B.
"L'effet divers Baldessari"
Libération, Paris, 2 et 3 mai 1987

 

Coupures et photos de presse, pour dérouler un film sans images et une musique sans son. Avec deux autres têtes de pont de la modernité (Boullion et Fridfinnson) Baldessari tartine du concept "pas triste" sur la plus convaincante des vitines régionales: le Magasin de Grenoble.

John Baldessari a trop souvent utilisé des images d'actualité et de faits divers pour ne pas créer, en s'amusant, spécialement pour Lyon Libération, un montage photo. Cet artiste californien aime les jeux de mots et les jeux de formes. Pour Lyon Libération, il décline en noir et blanc la venue de Disney-World en France: « J'ai utilisé ici l'image de Donald Duck et celle de l'abeille, ce sont des réféerences simples que tout le monde peut comprendre. » Pour un peu il n'en dirait pas plus,laissant aux autres le soin de découvrir des sens la où il ne met que des images. Dans le blanc de sa barbe, il rit: « La connexion entre art et argent a toujours existé. Celui qui n'a pas d'argent ne peut s'exporter... » La critique de cet artiste, conceptuel du marché de l'art n'est jamais imposée au public. Tout le monde peut bien voir ce qu'il veut « je me suis dit à une époque que je ne ferais. plus jamais d'art ennuyeux. Et contrairement à la bande des Kossuth, Buren ou Weiner, j'ai toujours eu envie d'être plus proche de la vie. » Pour cette raison, il abandonne en 1965 la peinture « je croyais à tort que l'art était avant tout de la peinture, j'ai donc arrêté de faire du style un peu Pollock que personne ne comprenait à l'époque pour utiliser un matériau plus connu du public: le journal. J'ai commencé à mélanger photos et écriture sur la toile. C'était indispensable pour moi de garder la toile car j'avais peu de chances d'exposer dans une galerie. Ce n'est que plus tard, quand les gens ont pris l'habitude d'un art sans châssis que j'ai pu travailler directement sur le mur. » Baldessari intervient au minimum dans la production de ces tableaux: un peintre en bâtiment dessine les lettres et Baldessari prend des photos sans souci du cadrage. « Je vivais dans la banlieue pauvre de San Diego, ce que je voyais autour de moi n'avait rien à voir avec l'histoire de l'art! Pour être plus proche de la réalité, je faisais le tour des maisons avec ma voiture et je prenais les photos au hasard à travers la vitre. Le sous-titrage était simplement l'adresse du lieu, évidemment les photos auraient pu être prises par quelqu'un d'autre mais je n'avais pas d'argent... »
Cette conception d'une présence « blanche » de l'artiste donne toute sa dynamique aux créations de Baldessari. Pour l'exposition, il a demandé à des peintres amateurs de reproduire le plus fidèlement possible des diapos qu'il leur a distribuées. Le savoir-faire en, général ne l'intéresse, pas. Il accorde autant d'importance à l'écriture qu'aux images. D'autres toiles ne comportaient à l'époque que des textes, en général des citations en rapport avec l'art ou des extraits de scénario « l'une des phrases était de Griffith. Il décrivait une femme en train de sentir une rose et c'était comme si je l'avais dessinée sauf qu'il y avait en plus la notion de temps ».
Aujourd'hui encore, l'écrit joue sur la, musicalité du temps « comme dans une conversation, je créais des syntaxes sur des modèles linguistiques ». Un catalogue d'images comme un dictionnaire: « Les images viennent toutes de la télévision, je pose un trépied devant l'écran et un déclencheur automatique fait le reste. Parfois j'utilise un filtre et j'obtiens des séries aléatoires rouges ou bleues. ».
Nombreuses références au cinéma: « Je suis intéressé par la vitesse des éléments, par exemple quand je visite le Metropolitan Museum, je regarde la succession des peintures comme un film. » On ne s'étonne plus alors des relations privilégiées qu'il peut entretenir avec le vidéaste Nam June Paik ou le musicien John Cage. Il conçoit son travail comme un film sans la pellicule et comme une musique sans le son.
L'installation qu'il propose au Magasin ne s'apparente-t-elle pas à une partition? « Le premier titre retenu était du reste le Salon de musique, j'ai utilisé l'architecture comme une ponctuation, sur la courbe et le mur du fond sont collées deux photos géantes, le violon et, en négatif, plus loin, l'archet. C'est la même composition que pour certains morceaux de Bach où le même thème est repris mais inversé. » Le long des murs, de grands portraits comme des notes de solfège se succèdent. « Ce sont des photos de film agrandies. J'ai préféré choisir des inconnus et des seconds rôles pour présenter un échantillon de sensations qui va de la peur, souffrance au plaisir; un éventail de la vie... Bien sûr, ils sont tous en train de jouer mais on n'est pas censé le savoir, en fait c'est toujours aussi faux! »
C'est le moment avant que la fete ne commence,un début impossible puisque jamais l'archet ne peut rejoindre le violon « c'est l'orchestration d'état émotionnel, la préparation à une danse qui pourrait bien être une danse de mort! »