Annika Larsson, Amy O'Neill, Tracey Emin, Collectif
1.0.3
"Projet MISMA" (Collectif 1.0.3)
Art 21, Paris, juillet/août
2005, p.68-69
MISMA : Module d'Intervention de Sauvegarde de Méthodologies Artistiques.
Ainsi s'intitule le programme très sérieux présenté par
le Collectif 1.0.3 à La Galerie au terme de sa résidence d'un
an à Noisy-leSec (1). D'emblée
s'affiche par le choix de telles dénominations (celle du projet en
cours comme celle du collectif lui-même)
l'évident attrait de ces trois jeunes artistes pour le processuel.
Le projet MlSMA, work in progress, dispositif participatif (sous
la gentille pression, sans doute, des collectivités locales), modulaire,
souple en son
déploiement, est néanmoins caractérisé par une
constante, son objet : explorer, pour dévoiler, le contenu d'ordinateurs
possédés ou fréquentés par des usagers que trois
catégories pour le moins significatives distinguent (artistes, institutions
ou collectifs, riverains du lieu de monstration). Quel que ce soit
le mode de présentation choisi (du très technologique au très
esthétisant en passant par l'incontournable interactivité),
chaque itération de MISMA nous livre, sous forme de cartographie, les
arcanes de postes informatiques, le ventre, la tripaille : le chemin
d'accès à des documents
qui n'apparaissent jamais. Car de ces traces d'usage, de ces empreintes
d'activités
(notons, à la lecture du paratexte, l'usage décomplexé de
grands poncifs de la théorie de la photographie), aucune image, aucun
texte n'émerge autrement que par son nom (sous la forme technique mentionnant
l'extension : « image.jpg »). Ce qui fait document, ce qui fait
image, ce qui fait texte c'est alors la structure organisationnelle
elle-même,
cette suite de noms de dossiers ou de fichiers que les systèmes d'exploitation
informatiques imposent encore qu'elle forme une arborescence. Malgré les
lourdes références dans les documents annexes au motif de la
toile (« tisser » des liens, toile webique etc.), c'est bien pourtant
le schéma arborescent qui est privilégié dans l'exposition.
Et même quand MISMA, dans sa collaboration avec la médiathèque
voisine, donne à voir, par une succession d'adresses Internet, les
itinéraires des surfeurs de Noisy-le-Sec, c'est bien encore de parcours
autonomes et linéaires qu'il s'agit. Que ce soit à La Galerie
ou à la Médiathèque (Voyage en URL tomes I et II) le
réseau, ses noeuds, son absence de centre ou de terme, est certes dans
le cas d'Internet induit par l'outil, mais jamais mis en avant par
la forme de monstration.
Si, dans Cloaca (de Wim Delvoye), le processus
mis à jour n'oublie pas de produire, in fine,
une crotte, dans le cas de MISMA, le processus s'échine, lui, à produire
de l'art en une attitude un peu frileuse de mise à distance du document,
de l'archive. Point de traces ici, de l'humour que l'on peut apprécier
dans la très scientifique machine à merde belge! L'archivage
de données, la volonté de constituer une mémoire (ce
qui peut se discuter) sont manifestes, mais pourquoi prétendre mettre
au jour des « Méthodologies Artistiques » (pour respecter
les majuscules de l'acronyme MISMA) ? Pourquoi vouloir exemplifier
(en l'isolant délibérément) le contenu des ordinateurs
d'artistes ? L'art est toujours archive et l'archive présentée
dans un contexte artistique (même quand il fut originellement la demeure
du notaire de la ville, donc déjà fortement concerné par
l'archive) tend vers l'art.
On regrette par conséquent le désir exprès d'esthétisation
de ce que le Collectif 1.0.3 appelle des « planiscopes » (un des
nombreux termes ésotériques contribuant à donner au projet
un pseudo-sérieux scientifique). Car ces planiscopes réorganisent
de façon très stylisée le transit, le contenu topographique
des ordinateurs d'artistes. Grands tirages contrecollés (sans parler
de ceux, exposés à la médiathèque, sur caissons
lumineux) dont le motif (l'arborescence des noms de fichiers), imprimé couleurs
claires sur fond noir, est recomposé par le Collectif 1.0.3 (les arborescences
sont respectées mais tordues de manière éminemment plastique)
pour constituer des sortes de tableaux abstraits. Bien plus que de
nous faire les voyeurs de portraits d'individus dessinés en creux par
l'usage de l'outil informatique, MISMA dresse aussi indirectement
le portrait du système
d'exploitation qui contraint cet usage. La maîtrise d'oeuvre (le Collectif
1.0.3) ne semble pas s'intéresser ou s'attaquer spécifiquement
au lexique imposé par Windows (par exemple) à ses 500 millions
d'utilisateurs dans le monde. Le rapport au portrait se contente
ici, à l'instar
de ce qu'avait pu proposer en 1996 un artiste comme Xavier Moehr
(dans ses portraits génétiques, tableaux à l'acrylique
dressant des portraits chromosomiques réalisés
après analyse du sang de divers individus) de participer à un
renouvellement du genre en proposant des portraits non pas analogiques
mais numériques.
Le texte collecté (« ponctionné ») par le Collectif
1.0.3 est suffisamment riche et significatif tant d'usages strictement
normés
(par les systèmes d'exploitation) que de choix personnels pour que
l'on ait pu se passer de ces appels du pied un peu forcés à l'art
comme à la science (2). De même,
nous paraît bien encombrante,
la mythification opérée autour d'un mystérieux quatrième
membre du collectif, toujours nommé (Jean-Paul Jainsky) mais jamais
visible et furieux producteur de textes-manifestes donnant un souffle
et une assise théorique aux activités du collectif. À cette
fiction un peu potache, on préfère celle de Yoon Ja et Paul
Devautour, convoquant deux critiques fictifs (Maria Wutz et Pierre
Ménard
!) pour critiquer le travail d'une ribambelle d'artistes fictifs.
1. En juillet, le projet MISMA sera présenté simultanément à La
Galerie de Noisy-le-Sec et au Magasin d'en face du CNAC de Grenoble.
2. On aurait vraiment pu éviter par exemple d'intégrer le poste
de consultation des "arboflashs "à uneréplique d'un
des robotsjumeaux ayant récemment exploré Mars...
Cédric Schönwald