GRAV


 
«Grenoble. GRAV»
Artpress, Paris, octobre 1998, p. 80

S'inscrivant dans le riche moment de l'art cinétique, le Groupe de recherche d'art visuel (GRAV) est actif entre 1960 et 1968. L'objectif de ses fondateurs (Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral, sans oublier François Molnar qui s'en retire bientôt pour incompatibilité théorique) est de nature esthétique et critique. A l'enseigne de sa propre dénomination, le GRAV s'attache à créer des formes d'art débarrassées de toute subjectivité et génératrices d'effets visuels inédits. Singuliers mais unifiés, les travaux de chaque membre du groupe multiplient ainsi jeux de perception et reflets, formes pénétrables et labyrinthes, invitations réitérées au spectateur à regarder des oeuvres dont le principe est à l'encontre de l'optique classique, d'affoler le visible. En étroite corrélation avec ce dispositif formel, les animateurs du GRAV adoptent aussi une attitude polémique à l'égard des notions d'«œuvre d'art», de «spectacle d'art» et d'«artiste», rediscutées de manière active et ouverte. Faisant état d'une pratique anticipant celles des artistes conceptuels américains, chaque exposition du groupe va donner lieu à des échanges avec ses visiteurs, sous forme notamment de questionnaires («Comment considérez-vous les travaux présentés dans cette exposition ?...»). Finalement miné par les questions de la signature et de la représentation individuelle de l'artiste, pourtant âprement combattues (Julio Le Parc, en 1966, reçoit le premier prix de peinture de la Biennale de Venise, récompense à l'origine de polémiques au sein du groupe), victime aussi de cette «instabilité» qu'il n'eut de cesse de mettre en scène, le GRAV s'autodissout en 1968.
De cette exposition, on sera tenté de dire méchamment qu'elle vient grossir la cohorte des embaumements conduite par l'institution d'art française depuis quelques années («l'effet Galerie du Jeu de paume», comme l'on dit à Paris). Encore faudra-t-il, cette fois, émettre cette nuance de taille, au crédit d'Yves Aupetitallot, son commissaire : rappeler, avec force pièces de qualité (dont plusieurs ont été reconstruites pour l'occasion), ce que purent représenter l'avant-gardisme réel et non mimé du GRAV, sa conception de l'art revisitée dans le sens de l'échange démocratique, c'est bel et bien marcher à contresens du démiurgisme héroïco-lénifiant, en général tapi sous les actuelles relectures de l'héritage artistique moderne. Offrant l'opportunité de replacer le GRAV dans son contexte réel (les préoccupations du groupe ne sont pas loin d'annoncer celles de BMPT ou de Support-Surface), cette exposition est aussi l'occasion de mesurer l'évolution des rapports artiste-spectateur depuis les années 60, en un moment - notre fin de siècle si hésitante - où les penchants politico-sociaux des créateurs de tous genres s'avèrent en croissance continue. Ouvrant la voie aux esthétiques de «participation», le GRAV figure une des prémices de l'art dit «interactif». A la différence de l'interactivité telle qu'on la conçoit aujourd'hui, réglée surtout par le principe réactif ou ludique, le modèle de participation proposé au «regardeur» par les membres du GRAV revêt toutefois un tour plus engagé, plus utopique aussi. Comme l'indiquent plusieurs mises au point théoriques, c'est bien un nouveau spectateur qui est recherché, spectateur arraché à la banalité des relations ordinaires, impliqué par et dans son environnement. L'effacement de la notion d'auteur ayant présidé à la constitution du groupe n'est pas sans aller dans le sens d'une telle redistribution des fonctions, cette question étant dès lors posée : peut-il y avoir, sans retrait de l'artiste, un spectateur réalisé ? C'est de remettre en avant et en jeu de telles problématiques, évidemment toujours d'actualité, que cette exposition aura échappé au destin létal des célébrations, se hissant du coup à un tout autre rang celui, utile, tombant à pic, d'une mise en perspective.

Paul Ardenne