GRAV


 
«Les portes de la perception»
Le Petit Bulletin, Grenoble, 17 juin 1998, p. 1

Déjà, il faut provoquer l’oeuvre pour pouvoir la pénétrer, immergé dans une forêt de cuivres tintelinants, la progression se fait au rythme de ces barres de métal dans un déferlement de mille clochers. Passé les lianes plastiques, l'espace s'ouvre, la pièce baigne d'une pâle lumière bleutée, déjà quelque chose s'explicite.

Après avoir été surpris de son propre corps devenu musicien par sa seule présence, on se retrouve confronté à l'obscurité, face à ce qui s'apparente être un labyrinthe de pièces où se succèdent les machines d'un étrange laboratoire… En réalité c'est bien d'un laboratoire dont il est question et dont l'objet de la recherche n'est pas moins que notre humaine perception. Le GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel ) par son propre intitulé se tient à cette démarche exploratoire et didactique. Pendant les 8 années de son existence, ce groupe (constitué de Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein, Yvaral) va développer un travail collectif tentant d'oublier l'auteur et d'intéresser le spectateur au processus et de la perception et de la création. L'exposition ici conduite reprend ainsi un très grand nombre d'oeuvres collectives et individuelles au service d'une déambulation entre jeux et illusions d'optique, labyrinthes, escaliers et mobiles. Sans compter les ateliers pratiques et les cabines d'essayage, où l'on se plaît à croire que le palais de la découverte a été délocalisé à l'Espace Bouchayer-Viallet. Car il semble bien que pour un spectateur ignorant les problématiques de l'art contemporain des années 60, les références viennent plus du registre ludo-éducatif, de la fête foraine à la Science en fête que d'une tradition artistique quelqu'elle soit. D'ailleurs il n'y a en cela rien d'étonnant. Par leurs démarches, les membres du GRAV invitent plus à une participation active et empirique au sein de l'oeuvre qu'à un cadrage théorique ici non avenu. Explorant avec moi les salles obscures, Boris Morange, jeune artiste grenoblois reprenant l'idée du palais de la découverte la radicalise d'une façon toute personnelle. Voyant très justement dans le travail du GRAV une analyse de nos propres conditions de perception, pourquoi, soumet-il, cette exposition ne pourrait-elle pas servir à «une mise en condition du spectateur» - comme une éducation du regardant et de son regard. Pourquoi même ne pas aller jusqu'à voir en ces salles noirs un tunnel obligé pour atteindre les «vraies oeuvres d'art» qui se trouveraient au bout de celui-ci ? La notion d'oeuvre disparaissant, où discerner la preuve de l'art, l'épreuve de l'artiste ? La recherche ici est en effet bien formelle, nulle poésie ou politique à proclamer, nulle esthétique ou idéologie à discuter, seuls comptent les agissements du spectateur qui seuls sont à même d'activer les qualités de l'oeuvre. Les salles se suivent ainsi, sphères de métal aux reflets changeants et aux structures enchevêtrées laissent la place à des peintures mouvantes ou se confondent projections et supports, ombres et lumières, une joconde anamorphosée et aérienne attire le regard lui-même pris à partie dans la succession de glaces sans teint, miroirs et autres illusions optiques qui l'attendent derrière chaque porte. On finit enfin avec l'essayage recommandé d'une quinzaine de paires de lunettes, d'escaliers peu recommandables et même d'étranges armoires mobiles que l'on vous invite à essayer tel un costume un peu sévère. L'exposition étant riche de plusieurs dizaines de pièces parfois sérielles, on ne peut détailler leurs propriétés à chacune. Ce d'autant plus que seuls vos yeux, votre oreille parfois et plus rarement le reste de vos sens sont à même d'éprouver l'enjeu de l'exposition : comment le regard du spectateur produit l'oeuvre ? Mais peut être la succession de ces «dispositifs globaux» n'invitent qu'a poser cette question somme toute singulière : comment quoi que ce soit est amené à signifier quoi que ce soit ?

Nicolas Mircovich