Barbara Kruger
Hervé Legros
"Barbara Kruger, Sophie Ristelhueber, I, myself and others"
Art Press, Paris, n°175, décembre 1992, page 77
BARBARA KRUGER
SOPHIE RISTELHUEBER
I, myself and others
Magasin
Centre national d'art contemporain
26 septembre-15 novembre 1992
Les trois expositions du Magasin, sans lien avoué entre elles, pouvaient
cependant se voir dans la projection d'une même problématique:
celle de notre conscience aux prises avec le pouvoir ; pouvoir des stéréotypes
sur le corps social avec Barbara Kruger, pouvoir des images sur notre rapport
au monde avec les photographies de Sophie Ristelhueber, ou pouvoir de la personnalité
sur notre propre conduite avec les artistes rassemblés par Thierry Ollat
sous le titre I, Myself and Others.
Barbara Kruger restait fidèle à son militantisme. Dès l'entrée,
à même la porte du Magasin, ses questions en lettres blanches sur
fond rouge vif interpellaient le visiteur: Pourquoi êtes-vous ici
? Pour tuer le temps ? Pour élargir votre horizon ?... A l'intéreur,
l'artiste américaine continuait sur la même lancée: Qui
est au-dessus de la loi ? Qui est acheté ? Qui est vendu ?...
Juxtaposés à ces interrogations, des clichés cadrés
serrés étaient barrés de sentences impératives :
Cherche le moment où la fierté devient mépris. Toute
violence est l'illustration d'un stéréotype physique. Dans
une telle mise en scène le spectateur est apostrophé, d'abord
par rapport à lui-même - quelques phrases directes lui étant
livrées comme un miroir -, ensuite par rapport au monde qui l'entoure
aux vues des montages images/textes pour le moins frontaux. La provocation alors
obtenue implique une mobilisation par rapport à notre propre capacité
critique. Que nous rejetions ou que nous acquiescions à ce qui est énoncé,
il est avant tout question d'une réaction.
Les images de Sophie Ristelhueber jouent sur le même registre que les
déclinaisons de Barbara Kruger, bien qu'utilisant des principes apparemment
opposés. Ses photographies, construites sur la mémoire du désert
du Koweit après la guerre du Golfe, étaient présentées
en un seul panneau d'une vingtaine de grands tirages d'où s'échappait,
sous un calme trompeur, un air de catastrophe. Parcelles de sable abandonnées
par l'homme, duquel il ne reste plus que la trace souvent abstraite, images
aériennes combinées avec d'autres plus rapprochées, succession
de la couleur et du noir et blanc autant de procédés qui visent
à provoquer le spectateur, à le «déstabiliser»
comme le confie la photographe. Mais, du fait de leur construction, ces images
toutes simples dénoncent une situation d'abandon au même titre
que les clichés d'actualité que rapportaient les reporters vantaient
les horreurs de la guerre. Encore une fois, ce travail n'appelle qu'une prise
de conscience de notre part. Qu'il s'agisse des propositions «coup de
poing» de Barbara Kruger ou des «paysages cicatrisés»
de Sophie Ristelhueber, l'une comme l'autre font de l'art une machine à
réagir en face d'un état de fait, par l'utilisation de propositions
contradictoires ou contraires (parodies ou contre-pieds des messages dont usent
les médias). De plus, si l'art est une arme qu'il est bon de pointer
face à la réalité, le danger est grand de se retrouver
désarmé par cette même réalité (ex. Barbara
Kruger vendant son design au magazine américain Newsweek pour
la mise en page d'un «top 50» des valeurs familiales américaines).
(...)
Hervé Legros