Matt Mullican
"Grenoble prise dans les toiles et les spirales"
Libération, Paris, 18 octabore 1990, p. 6
CULTURE
ARTS PLASTIQUES
GRENOBLE PRISE DANS LES TOILES ET LES SPIRALES
Au Musée des Beaux-Arts, le peintre italien Piero Dorazio
entrecroise les lignes et les couleurs avec le méticuleux d'un artisan.
Dans la «Rue» du Cnac-Le Magasin, Matt Mullican fait claquer des
oriflammes et entraîne le visiteur dans des labyrinthes tout en courbes.
(...)
L'Américain Matt Mullican investit la totalité du CNAC-le Magasin.
Si le terme «muzak» a pu designer les notes synthétiques
d'un Brian Eno, pour les bannières de Mullican on devrait pouvoir dire
«artak». Le plasticien fait claquer d'immenses oriflammes, accrochées
dans la «Rue» comme autant de volets d'un paravent déplié.
Il ne s'agit pas pour autant d'un détournement mais plutôt d'un
retournement de sigles: ils figurent en tant que formes, mais plus en tant que
signaux. Ce qui inverse le sens de la lecture. Ce qu'on voit ici relève
du simulacre, ou plutôt reflète l'image d'une image. Et Matt Mullican
défait constamment cette iconographie industrielle. Quand il ne s'attaque
pas aux architectures utopiques - The City: The M.I.T Project -, il
aligne seize caissons lumineux d'images de synthèse pour une construction
imaginaire dont l'espace n'est que projectif.
L'ensemble est à regarder avec les yeux d'Alice, habile à traverser
le miroir des mirages-pièges de Matt Mullican, l'homme à la lumière
prompte quand il ne vous envoie pas valdinguer dans les dédales de ses
Topologies labyrinthiques où chaque courbe se transfigure en
spirale. On dirait qu'il se joue (encore une fois) de la perspective de ses
pièces. Il faut les contourner, y errer, en débrouissailler les
strates, à la manière d'un archéologue exhumant quelque
trésor. Matt Mullican, d'ailleurs, accumule les reliques en disposant
dans ses installations un ossuaire, quand il ne transforme pas son atelier «reconstitué»
en antre de naturaliste.
Une exposition qui tient à la fois d'une journée au Musée
d'histoire naturelle et d'une course-poursuite dans un environnement marchand
post-atomique, où le spectateur serait le seul survivant pour capter
les signes facétieusement tronqués d'un artiste entomologiste.
Le behaviorisme érigé au rang des Beaux-Arts.
Qg. T.T.D.