Sarkis


 

"Sarkis"
Kanal Europe, Paris, Avril-Mai 1992 n°2, pages 100-101

 

GRENOBLE
Sarkis

LE MAGASIN DE GRENOBLE, cet hiver, avant le musée d'Utrecht, au printemps 92, a présenté un ensemble de mises en scène de 1969 à 1991 : une vision globale sous forme de prélèvements de mémoire, trésors de guerre d'un capitaine au déjà long-cours, qui revisite ses propres objets, les éclaire et les interprète à nouveau d'une manière toute neuve.
Cette vision vivante et transformatrice remet en question le rôle du conservateur et celui du commissaire d'exposition, obsolètes et académiques lorsqu'ils ont affaire à des artistes qui obligent à repenser complètement le statut du musée, des expositions et des collections. Sarkis annule toute possibilité de rétrospective et par là-même fait exploser le faux concept (non fondé) de rétrospective, héritée des prétentions du siècle dernier à saisir l'ensemble d'une mémoire (en psychologie, en archéologie, en anthropologie, en histoire de l'art...). Les objets de l'art comme les objets ethnographiques ne sont que des prélèvements, isolés, d'un ensemble, d'un mythe, d'un univers très complexe, que l'on doit interpréter sans les manipuler. Sarkis fait des oeuvres nouvelles avec des pièces anciennes et ouvre sans cesse le champ d'interprétation, comme en musique ou au théâtre. L'art, selon lui, devrait s'interpréter comme des textes visuels mis en scène (à ce propos, il serait très utile de revoir comment les surréalistes montraient leurs pièces - et tout particulièrement la fameuse installation de l'exposition surréaliste scénographiée par Duchamp, en 1937 à Paris).
L'exposition de Grenoble a été transformée pour Utrecht car, entretemps, Sarkis a fait l'expérience de Brioude, en Auvergne (janvier 92), où il a imaginé son intervention comme un pélerinage "vers Brioude" (1). A Utrecht le lieu est différent, et seul un choix de pièces de Grenoble sera là, avec de nouvelles oeuvres et un nouveau catalogue. Sarkis cherche à briser la paresse du spectateur et la manie de transporter en divers lieux les mêmes expositions.
On doit se déplacer, faire l'expérience, interpréter: ainsi, du même coup, il remet en cause le rôle passif du regardeur et l'oblige, comme le disait Mallarmé, à devenir à demi-créatif. La complexité du travail, ses contradictions, son hermétisme sont des outils qui demandent aussi de faire sa propre expérience, loi des explications réductrices. Voir et écouter des oeuvres de Sarkis est analogue au déchiffrement d'un film, d'un livre ou d'un conte : il convient d'abord d'en assimiler le vocabulaire fondamentale, pour ensuite aborder un territoire inconnu empli de trésors inattendus.

• Michel Giroud

1- Une plaquette a été éditée par le FRAC Auvergne à l'occasion de l'exposition à la Maison de Mandrin, rue du 4 septembre 43100 Brioude, texte de Doris von Drathen, 4 pp., 10 F.
Dans la revue Kunstforum (été 91), une étude importante est parue sur le travail de Sarkis.
Exposition du 15 décembre 1991 au 23 février 1992 au Magasin, site Bouchayer-Viallet, 155 cours Berriat, 38000 Grenoble.
Exposition du 10 avril au 7 juin 1992 au Central Museum, Afnietenstraat 1, Utrecht , Hollande. Catalogue, biographie et texte de Elvan Zabunyan, 40 illustrations couleur, 54 pp., 200 F.

THE CENTRE D'ART CONTEMPORAIN Le Magasin in Grenoble presented this winter, before the Utrecht museum which will present it in the Spring of 1992, a collection of productions from 1969 to 1991: a global vision in the form of memory samples, war treasures of a Captain with long seagoing experience, who revisits his own objects, sheds light on them and interprets them once again in a completely new way.
This living and transforming vision calls into question the role of the curator and that of the exposition commissioner, which become obsolete and academic from the moment they are faced with artists who force a complete rethinking of the status of the museum, of expositions and collections of new and major works of art dating from the 70s to the present.
Sarkis abolishes all possibility for a retrospective and in that respect shatters the false concept (unfounded) of the retrospective, inherited from the last century's pretence of knowing how to grasp collective memories (in psychology, in archeology, in art history ...). Like ethnographic objects, works of art are but samples, isolated from the whole, from a myth, from a complex universe, which must be interpreted without manipulation. Sarkis creates new works with old pieces and incessantly stretches the field of interpretation, as in music or in theatre. Art, according to Sarkis, should be interpreted like staged visual texts (on this subject, it would be very useful to look at how the surrealists showed their plays - and particularly DuChamp's famous installation of the surrealist scenographic exposition, in 1937 in Paris).
The Grenoble exposition was transformed for Utrecht because meanwhile, Sarkis went to Brioude in Auvergne (January 1992) where he imagined his intervention as a pilgrimage "toward Brioude" (1). At Utrecht the space is different, and only a selection of the works from Grenoble will be there, along with new works and a new catalogue. Sarkis strives to shatter the idleness of the onlooker as well as the mania of transporting the same expositions to various locals.
We are forced to move, to experience, to interpret : in this way, in one blow, he calls into question the passive role of the onlooker and forces him, as Mallarme said, to become half-creative. The complexity of the work, its contradictions, its hermetism, are also tools which demand a personal experience, the law of reducing explanations. To see and to listen to Sarkis's works is analogous to decifering a film, a book or a tale it is advisable to first assimilate the fundamental vocabulary in order to then reach an unknown territory filled with unexpected treasures.

• Michel Giroud

1 - A small volume was published by the Frac d'Auvergne on the occasion of the exposition in Brioude, text by Doris Van Drathen and Emmanuel Latreille, 4p., 10 F.
In Kunstforum (summer 91), an important study was done on Sarkis's work.

Michel Giroud