Vito Acconci


 

" Vito Acconci "
Galeries Magazine International, Paris, February/March 1992, N° 47, Pages 77 à 79 et 126 à 128

Portrait d'un personnage légendaire des années 1970 et d'un anti-héros.
Chronologie d'une activité multiforme et contradictoire, où s'est fait entendre une voix, une (mauvaise) conscience de l'Amérique.


Vous avez d'abord été poète et puis vous êtes devenu artiste vers 1969. Il y a plusieurs étapes dans votre travail : la photographie, la performance et la vidéo, l'objet, l'architecture. A force de donner des conférences, vous avez établi une sorte d'« histoire officielle » de ce parcours. On pourrait essayer de trouver d'autres histoires. Pour commencer vous décidez de vous intéresser à l'art visuel.

Au début, je considérais la page à peu près comme l'équivalent d'un objet minimal. Je m'intéressais à des choses du genre, comment aller du côté gauche au côté droit de la page ? Comment passer d'une page à la suivante ? Donc pour moi écrivain, et pour vous lecteur, la page représentait une étendue à parcourir. Autrement dit, comme j'essayais que la page reste, littéralement, cet espace à parcourir, la question des mots a commencé à se poser. C'était impossible d'utiliser arbre, chaise ; ils renvoyaient à un espace d'une autre nature. Pour préserver la littéralité de la page, les seuls que je pouvais utiliser étaient des mots comme à l'époque, à cet endroit. Il y avait donc un saut à faire, et il fallait que ce saut me conduise de la page à quelque part, hors de la page.

Votre travail photographique commence vers 1969...

Il doit y avoir quelques films avant, un ou deux que personne n'a vus. Il y en avait un où je tenais la caméra en avançant dans des massifs d'arbustes très épais, des buissons plus hauts que moi, et tout ce qu'on voit c'est beaucoup de vert et beaucoup de mouvement, c'est très proche des photographies de l'époque. Ce que je voulais, c'est en quelque sorte sentir une photographie. Mais les mots manquaient.

Les mots sont venus avec les photographies.

A l'époque, entre 1964 et 1969, l'ordre du jour, c'était le cinéma. En début d'après-midi, j'allais voir un film d'avant 1930, entre trois et six un film d'entre 1930 et 1960, et le soir, je revenais aux années soixante.

Quels ont été les films importants pour vous ?

Ceux de Godard et ceux de Resnais. J'ai commencé à comprendre le cinéma américain grâce à Godard. C'est à travers lui que j'ai vraiment vu les films de John Ford, d'Howard Hawks, Samuel Fuller. Avec Detour, ce film incroyable de Edgar G. Ulmer j'ai tout compris sur « comment faire un film quand on n'a pas d'argent du tout ». Quelqu'un marche dans la rue : il n'avait pas de travelling, donc il fait un plan fixe du visage, puis un plan d'une enseigne de rue - " 100 Fifth Street " - , puis un plan fixe du visage, puis un plan fixe de l'enseigne. C'était une manière de créer du mouvement sans le moindre mouvement de caméra. Pour moi, ça a été une révélation.

Quel était le lien entre littérature et cinéma ? Je pense à un film particulier, L'année dernière à Marienbad.

C'était l'équivalent, en film, d'un roman à la première personne. Je pense aussi à Lady in the Lake, d'après une nouvelle de Chandler, où la caméra joue le rôle du détective. On ne voyait jamais Philip Marlow - le rôle était joué par Robert Montgomery, qui était aussi le réalisateur du film - puisque la caméra, c'était lui. C'est tellement bête et littéral, mais ça m'avait fasciné.

Qu'est-ce que vous appelez littéral ?

L'année dernière à Marienbad est le meilleur film que j'ai vu sur l'architecture, parce que c'est un film sur un espace qu'on traverse, exactement comme quand on écrit. Ecrire consiste à faire en sorte que quelqu'un lise quelque chose, et à ce que ce quelqu'un aille de la première à la dernière page du livre. Dans L'année dernière à Marienbad, le narrateur convainc la femme qu'elle se trouve là où il a décidé qu'elle serait. C'est exactement le fonctionnement de l'écriture.

Chez Godard aussi on retrouve cette relation entre mots et images.

Quand je pensais écriture, je pensais toujours fiction. Avec les films de Godard, j'ai changé d'avis parce que tout à coup, dans la forme de l'essai, il n'était plus question de l'être humain qui rêve, mais de l'être humain qui pense. Le spectateur qui regarde un film de Resnais est comme dans un théâtre, dans l'obscurité, il dort. Les films de Godard, j'avais l'impression de les regarder en plein jour.

Je pense aussi à la voix, parce que la voix est au film ce que le langage est à l'image. Mais la voix joue également un rôle important dans la poésie, elle est liée à la diction. Avez-vous subi l'influence des poètes de la Beat Generation, de quelqu'un comme Ginsberg ?

C'est drôle, je suis sûr que tout ça m'a influencé sans que je le sache. Je croyais aimer le sec, le dépouillé, le poème écrit plutôt que le poème parlé, plutôt que le poème de l'orateur. Je préférais Emily Dickinson.

Mais vous, vous êtes un orateur.

Je sais. Ce qui explique très bien que j'aie voulu le contraire. La précision et l'analyse m'étaient beaucoup plus difficiles que cette forme d'écriture qui ressemble à un océan, à des vagues. Les vagues de l'océan, l'amoncellement des mots m'ont toujours été beaucoup plus familiers, beaucoup trop familiers. D'un côté j'aimais Faulkner, mais de l'autre j'aimais Flaubert. Faulkner pour moi, c'était beaucoup plus facile à faire que Flaubert.

Et Burroughs ?

En 1962 ou 1963, Grove Press a publié Le Festin nu de Burroughs, Notre-Dame des Fleurs de Genet, il me semble aussi Last Exit to Brooklyn de Hubert Selby, et aussi les pièces de Brecht. L'association de Burroughs, Genet et Brecht a été importante, je ne suis pas sûr de pouvoir dire pourquoi.

C'est une étrange association !

Pas tant que ça, parce que je voulais des choses de l'ordre de la personne, qui plongent à l'intérieur, profondément, comme chez Genet, mais je voulais une écriture distanciée, descriptive et analytique, à la Brecht. A la place de Genet, j'aurais pu dire Artaud.

Burroughs, Artaud, Genet, tous des écrivains où il est question de corps.

Oui, pour Seed Bed par exemple, je n'ai pas pu ne pas penser à Genet. Je lisais tout le temps, à voix haute et devant des gens, des passages de Genet. C'était comme une incantation, les mots faisaient exister quelque chose. Comme si le mot suscitait l'image. En même temps j'étais content qu'il y ait Brecht, parce que grâce à lui, il y avait cette idée qu'il ne fallait pas croire. Grâce à Brecht aussi j'ai compris ce qu'était la musique populaire.

Vous vous êtes intéressé à la musique rock ?

Oh oui, beaucoup, ça a joué un rôle très important dans ma vie. Ce qui m'intéressait par rapport à ce que je faisais à la fin des années soixante, au début des années soixante-dix, c'était Van Morrison, Neil Young, une voix seule, une chanson longue, une voix qui dérive dans la musique. Au milieu des années soixante-dix, j'étais beaucoup plus intéressé par les Sex Pistols, les Ramones, un peu plus tard par The Fall, une musique qui était la voix de la multitude, où il y avait beaucoup de bruit, de la foule, du groupe et plus de voix seule. La musique avait beaucoup changé. Toute la différence était entre Neil Young, Van Morrison et les Sex Pistols disant: « Fuck this and fuck that ». Pour moi c'était la limite, je me suis dit que c'était la fin de la musique.

Donc, il y a multitude quand la voix seule ne se fait plus entendre.

Le Velvet Underground a joué un rôle important. D'une certaine manière, il associait les deux. A la fin des années soixante, je cherchais des poètes, j'essayais de me convaincre que j'aimais John Ashbery et Frank O'Hara, mais en fait celui que j'aimais c'était Lou Reed. La poésie qui m'était proche, c'était William Carlos Williams, Ezra Pound, pour moi le langage c'était ça : « J'ai mangé des
prunes qui étaient dans le réfrigérateur... Pardonnez-moi elles étaient si délicieuses, si douces, et si fraîches. » Ce que j'aimais chez William Carlos Williams et Lou Reed, c'était l'économie des mots.

Lire Faulkner à travers Flaubert, voir Ford, Hawks et Fuller à travers Godard...

Il ne faut pas oublier que quand Faulkner a reçu le Prix Nobel, ses livres étaient pratiquement épuisés aux Etats-Unis, mais on pouvait les trouver en français !

Comment l'expliquez-vous ?

Par certains aspects, Faulkner était considéré comme un romancier de gare, pour les mêmes raisons qu'on ne prenait au sérieux ni les films d'Howard Hawks ni les films de Sam Fuller. Les Américains voulaient de l'art, quelque chose qui ressemble à de l'art. Les films d'Howard Hawks et de John Ford étaient trop quelconques, trop faciles. Je ne sais pas, peut-être que ma façon de voir Hawks s'est complètement francisée, mais ses films m'ont tellement frappé, cette manière qu'il avait de montrer les gens jusqu'à la taille, très peu de gros plans, très peu de plans longs, on avait l'impression de les connaître, ces gens qu'on voyait à l'écran. Et je crois que sans avoir regardé Godard, sans l'avoir lu, je n'aurais jamais pu voir ces films de cette manière-là. C'était aussi l'époque, il ne faut pas l'oublier, où certains Américains commençaient à haïr l'Amérique. J'étais révolté par la guerre du Vietnam, je voulais tellement être Américain, et je ne pouvais que haïr tout ce que l'Amérique faisait. Et Godard avait les mêmes problèmes, je crois. Il méprisait le capitalisme américain mais en même temps il adorait l'allure des voitures américaines. J'éprouvais les mêmes sentiments contradictoires. Pourtant je continuais d'aimer l'idée que je me faisais de l'Amérique, cette notion d'espace à l'intérieur duquel quelqu'un peut errer, dériver, se balader. Ça a joué un rôle d'autant plus important que c'est un espace que je ne connais pas, j'ai toujours vécu dans un espace urbain et l'Amérique, c'est l'idée de l'espace rural. A la fin des années soixante, on croyait encore qu'il suffisait de partir, de quitter des lieux peuplés pour des lieux déserts, que l'histoire n'existait pas.

Donc d'après vous ce n'est pas dans la peinture que s'exprimait l'espace américain, mais dans le cinéma.

Dans la musique aussi, dans le sens où avant les années soixante, toute musique était de la country music. C'est le Velvet Underground qui a introduit l'espace de la ville. L'espace new-yorkais, ça avait un sens pour moi. Il n'y a pas de vue à New York. Dans le travail que je fais, il est question d'espaces au milieu desquels on se trouve, pas d'espaces où l'on peut s'offrir le luxe de regarder de loin. Et pour moi, le luxe du regard a pour corollaire l'élaboration de l'objet. Une chose acquiert plus difficilement le statut d'objet quand elle est fonctionnelle ou quand elle vous dépasse ou quand elle vous engloutit.

Votre dernière exposition à Paris, chez Anne de Villepoix, était très frappante, à ce titre. Il y était question de l'espace clos de la ville, et de l'invasion de cet espace par l'objet. Sauf que ce n'était à proprement parler un objet. Quand l'objet est-il vraiment apparu dans votre travail ? Pourquoi, et quel genre d'objet ?

La première fois que j'ai introduit des objets, c'était sous la forme d'une combinaison de meubles et de diapositives, en 1973, 74 et 75. C'était une façon de me débarrasser de moi-même et de présenter dans ces images flottantes une sorte d'ectoplasme, comme si j'avais voulu me faire disparaître dans la lumière des projections. Les images défilaient vite, on ne pouvait en regarder aucune attentivement. Ça allait trop vite pour être un objet, il n'y avait que des bribes de choses à saisir, des suggestions.

En fait vous êtes arrivé un peu après la génération de l'objet.

Ce qui était important pour moi, c'était la pensée et la décision. J'ai peut-être trop négligé le hasard. En même temps, c'est difficile à dire, parce que je venais en grande partie de John Cage, et même si je n'ai jamais vu les happenings d'Oldenburg ou de Kaprow, je savais à l'évidence qu'ils existaient, et donc qu'il fallait aller ailleurs. Mais il doit y avoir autre chose, quelque chose de plus convaincant...

Oui. Il me semble que c'est du côté de la question du modèle. Quand on cherche un modèle, c'est difficile de faire intervenir le hasard, alors qu'on peut se servir du hasard pour se construire un modèle. C'est un outil, exactement comme le sous-titre de ce livre que vous avez tous tant lu dans les années soixante : The Whole Earth Catalogue (Comment accéder aux outils). Vous vous servez d'un modèle comme d'un outil, pour vous donner une identité, et aussi pour survivre. Ce qui vous éloigne beaucoup de l'idée surréaliste de la ville, du hasard collectif, et de l'objet trouvé.

Je n'en suis pas si sûr. Les textes surréalistes (Nadja de Breton) plus que la peinture, ont signifié quelque chose pour moi. J'aimais l'idée du hasard objectif, de la rencontre, de la ville, mais ni pour aller au-delà, ni pour aller ailleurs. L'importance de l'art minimal pour moi à l'époque tenait au fait qu'il n'y avait pas à regarder au travers d'un cadre, mais qu'on se trouvait complètement là, à l'intérieur de l'espace présent. Est-ce une chose spécifiquement américaine ? Je crois.

Il s'agit de la chose vraie, réelle, et je crois que le besoin de réalité existe toujours, même s'il ne peut se résoudre à travers des choses aussi simples qu'un objet. J'ai le sentiment que vous avez cherché à rejeter l'influence du pop art, parce qu'il y est trop question d'image et parce que votre manière d'appréhender le vernaculaire - qui est une des composantes fondamentales du pop art - passe plus par la littérature que par l'objet ou l'image.

Si l'image vernaculaire vient de quelque part, c'est probablement de la convention du langage. Le langage qui m'intéresse pourrait se résumer dans une phrase comme « I would be doing something ». L'énonciation est définie, mais tout reste ouvert quant au moment et à la manière dont l'événement aura lieu. Quelque chose est produit dans le monde comme un fait, mais le langage garde la possibilité de le dénier, de dénier sa détermination.

L'ouverture passe par le langage. Le monde des objets, lui, est fermé.

A l'époque où j'écrivais, j'en étais arrivé au point où je ne pouvais plus me servir des mots. C'est seulement à partir du moment où j'ai utilisé des objets que j'ai pu à nouveau m'en servir, de leur réverbération, de leur connotation. Dans ces conditions, les mots pouvaient combattre l'objet, le nier ou au contraire le rehausser. C'était la combinaison qui me semblait importante.

Venons-en à l'architecture qui a représenté un changement important dans votre travail.

A l'époque où je faisais des performances, le contexte et l'espace dans lesquels l'action avait lieu jouaient un rôle au moins aussi important que l'action elle-même. Quand j'ai fait Seed Bed, en 1972, il fallait qu'il y ait une pièce, qu'il y ait un sol, pour que je puisse être sous le sol. D'une certaine manière, je devenais un élément de l'architecture. Pour moi, il ne s'agissait pas d'un endroit où on rentre, mais d'une structure qui entoure le corps. J'ai toujours adoré l'expression américaine de « mobile home ». Cette idée du chez soi, d'une certaine manière m'a toujours terrifié. L'idée de « mobile home » est plus ouverte. C'est la maison, avec en plus toutes les perspectives d'aventure.

Tenez-vous vraiment à ce que vos projets architecturaux soient réalisés ? Chaque fois que vous faites un projet pour un espace public, il est tellement critique de l'Institution qu'il en devient inacceptable. D'un autre côté, vous ne vous êtes jamais résolu à ne faire que des maquettes.

Ce n'est pas si facile de répondre. D'un côte oui, je veux que les projets soient réalisés, parce que ce n'est qu'à cette condition que le travail peut entrer dans un champ d'expérience. La réalisation de la pièce apporterait nécessairement quelques petites modifications, ne serait-ce que parce que les espaces environnants seraient affectés par sa présence. D'un autre côté, je crois que j'ai un faible pour la théorie, pour l'idée de l'essai, pour l'idée du livre. S'il faut choisir entre la théorie et quelque chose qui serait tributaire de la situation existante et sans aucune possibilité de la changer, je préfère la théorie ou l'idée que, d'accord, ça n'existera jamais dans un monde où des gens auraient pu en faire l'expérience, mais au moins ça aura la valeur d'un essai.

Ne pensez-vous pas que les commandes publiques ont servi d'alibi à une politique de contrôle des espaces publics ? Que pensez-vous de l'affaire du Tilted Arc de Richard Serra ?

J'ai du mal à parler de cette affaire, parce que je pense qu'il n'y avait aucune raison qu'on détruise cette pièce. Mais en même temps, ce n'est pas comme ça que je conçois l'art public. Le travail de Serra m'apparaît plutôt comme une oeuvre de sculpture abstraite placée dans un espace public. Je continue à penser que l'art public devrait être public au sens propre du terme, fonctionner comme un forum, être un lieu de débats et de discussions. Idéalement, ce devrait être l'endroit où l'ordre public pourrait être remis en question. Avec tout ça, on comprend très bien pourquoi mes projets ne seront jamais réalisés !

Mais votre travail récent tourne beaucoup autour du divertissement. Chez Anne de Villepoix en juin dernier, vous avez exposé des lits qui étaient à l'évidence contre le sérieux en art.

C'est bizarre d'avoir dans une galerie quelque chose sur lequel on peut monter, ou dont on peut se servir. Une galerie, c'est un endroit sérieux, c'est un endroit où on regarde, et pour moi, le regard signifie la distance, la distance signifie le désir, et à la fin, on reste les mains vides. Si on avait le droit de toucher dans une galerie ou dans un musée, je pense que le monde de l'art s'écroulerait.

Dans votre exposition au Magasin, à Grenoble, il y a quelques mois, il était clair que le sexe résidait entièrement dans l'objet, qu'il passait par l'objet et qu'en revanche, il était complètement absent des projets architecturaux.

J'ai bien peur, en effet, de l'avoir exclu. J'ai fait une distinction trop nette entre ce qu'on appelle le domaine privé et le domaine public.

D'un côté, vous avez l'espace public avec l'architecture, et de l'autre, l'espace privé avec le sexe. Où est le lien entre les deux ? Le sexe représente le présent, en quelque sorte. Il se manifeste dans le présent - ou dans le passé. Etant donné qu'en réalité vous faites ces maquettes pour qu'elles ne soient pas réalisées, peut-on considérer l'espace public comme une sorte de futur impossible ?

Oui, comme une frustration du futur. Ce qui prouve qu'il devrait y avoir du sexe dans l'espace public.

N'est-ce pas le langage qui devrait faire le lieu ? Jusqu'à present, c'était toujours le langage. Mais où est passé le langage ? Où est la voix par exemple ?

Plus je voulais réaliser des pièces pour un espace public et plus j'hésitais à y introduire des signes de ma personne. Le langage qui figure réellement dans mes pièces est du langage parlé. Le langage écrit est le signe de la tribu, le dictionnaire, le code général ; le langage parlé est l'altération par une personne particulière de ce code. Tout se passe comme si mon travail avait consisté, dès le début, à me débarrasser progressivement et autant que possible de cette personne.

Le langage pour vous est lié à la voix, parce que les gens entrent en rapport les uns avec les autres par la voix. Au début, vous avez cherché à détruire le sens du langage sur la page. Mais vous n'avez jamais détruit le sens du langage dans la voix.

Non. J'ai voulu l'étreindre, l'affaiblir, mais je ne l'ai jamais supprimée. La voix, c'est ce qu'il reste d'une personne. C'est un peu son dernier soupir.


Traduit de l'anglais par Hélène Barbarin.




A legend of the 1970s and a kind of anti-hero, he has engaged in a baffling, even contradictory range of artistic activities; through it all resounds a voice, like America's (uneasy) conscience.


First you were a poet, and then you became an artist around 1969. There are several phases in your work : photography, performance and video, objects, architecture. You give a lot of lectures and you have an explanation, an official story, for every switch you have made in your work. So let's try to find a few alternative stories. The first switch is when you decided to do some visual art.

At first I was thinking of the page as almost an equivalent of the minimal object. So I was concerned
with things like : " How do you go from the left margin to the right margin ? How do you go from one page to the next ? " So the page was a field for me, as a writer, to travel over, and also for you as a reader. But as I tried to keep the page as a literal space to travel over, words became problematic. It was impossible to use words like
tree, chair, they referred to another space. I could only use words like there, at that time, in that place, in order to preserve the literalness of the page. So there had to be a leap, and the leap had to be from the page to somewhere off the page.

You started your photographical work in 1969...

There might have been some films before, an early film or two that nobody has seen. There was one with me holding the camera while I moved through heavy shrubbery, bushes that were taller than a person. All you see is a lot of green and a lot of movement, very much like the photographs at the time. My attempt was to sort of feel a photograph. But it needed words.

The text came with the photographs.

Between 1964 and 1969, what was happening for me were movies. In the early afternoon I would see
a movie from before 1930, then from three o'clock to six o'clock, a movie from between 1930 and 1960. At night I could come back to 1965.

Which films did you find most important ?

Films by people like Godard and Resnais. Through Godard, I started to learn about American films. Only then could I see John Ford, Howard Hawks, Samuel Fuller, and Edgar G. Ulmer, whose incredible film called
Detour was the ultimate example of how you make a movie with absolutely no money. A person walks in the street : he didn't have a tracking camera, so he would use a still shot of a person's face, then a shot of a street sign - 100 Fifth Street - then the person's face again, then a shot of a street sign. So he made movement without being able to have a camera move. That was startling to me.

What was the connection between literature and cinema ? Through some specific films like L'année dernière à Marienbad, for example.

It was almost the film as a first person novel. There was Lady in the Lake , in which the camera is the detective. Robert Montgomery, who directed the movie but also plays Philip Marlow, is never photographed, because he is the camera. It's so dumb and literal, but - it was startling to me.

What do you mean by literal ?

It's like Last Year at Marienbad . That's the best movie about architecture I've ever seen, because it's a movie about going through a space, just like in the act of writing. The act of writing is, you're convincing somebody to read something, to go from the first page of the book to the last page of the book. In Last Year at Marienbad , the narrator is convincing the woman that she is where he wants her to be. It seems like that's the act of writing.

In Godard too, you have the relationship between words and images.

When I thought of writing, I always thought of fiction. When I started to look at Godard, I revised
things, because essays seemed to be about the thinking human being, and not the dreaming human being. Resnais' viewer is more of a person in a theater, in the dark, asleep. With Godard movies, it was as if you were looking at them in the light.

I am also thinking about the voice, because the voice is the way language goes with the image in a movie. But the voice is also important in poetry, the voice means diction. Were you influenced by the Beat generation poets, people like Ginsberg ?

It's funny, but I'm sure that stuff influenced me without me realizing it. I thought I wanted the spare, the bare, the poem on the page, rather than the poem as spoken, rather than the poem as something from an orator. I preferred Emily Dickinson.

But you are an orator.

I know. Which is probably why I wanted something so much the opposite. Precision and analysis was much more difficult than the technique of writing as a kind of ocean, writing as waves. Ocean waves and piling on words was always very much closer to me, it was probably too close to home. On one hand I love Faulkner, but on the other hand I love Flaubert. Faulkner I could do much easier than Flaubert.

And Burroughs ?

In 1962 or 1963, Grove Press issued his Naked Lunch , Genet's Our Lady of the Flowers , and I think also Hubert Selby's Last Exit To Brooklyn , and Brecht's plays. The combination of Burroughs, Genet, and Brecht was important to me, I don't know if I could define exactly how.

It's a strange combination !

But not really though, because I wanted both, I wanted notions of person, and going interior, as if into a deep space like Genet, but I wanted a social space like Brecht. I wanted the kind of writing that you would almost be engulfed by, and that would seep into you, like Genet, but I wanted the kind of writting you could observe and analyse like a lecture, like in Brecht. You could also substitute Artaud for Genet.

Burroughs, Artaud, and Genet are all very much about the body.

When I did
Seed Bed, I don't think J could avoid Genet. I used to read passages from Genet aloud to
people all the time. And it was a sort of incantation, it was the words making something exist. It was almost the word making an image. But at the same time I was glad there was Brecht, because there was this notion of " believe in nothing. " Also the notion of popular music became important to me with Brecht.

Were you interested in rock music ?

Oh yeah, very much, that's been such an important influence in my life. For what I was doing in the late sixties, early seventies, the important music for me was Van Morrison, Neil Young, single voice, long song, almost this person drifting through music. Mid-seventies, I was much more interested in the Sex Pistols, the Ramones, a little bit later The Fall, music as mass voice. There's a lot of noise, there's multitude, there's group, there's mass, but no more single voice. Music became very different. The difference was between Neil Young and Van Morrison, and then the Sex Pistols saying " fuck this and fuck that. " To me that was the ultimate - I thought music had ended.

So the mass is when there is no more single voice.

The Velvet Underground was important. In some ways they combined the two. In the late sixties, I was trying to find poets, and I tried to convince myself that I loved John Ashbery and Frank O'Hara - but I really loved Lou Reed. The poetry that had meant a lot to me was William Carlos Williams, Ezra Pound, that's what language meant for me. " I have eaten the plums that were in the ice-box, forgive me, they were delicious, so sweet and so cold. " The thing about William Carlos Williams and Lou Reed was that you could have six words, you didn't have to have a hundred.

Trying to read Faulkner through Flaubert, to look at Ford, Hawks, and Fuller through Godard...

Remember that when Faulkner won the Nobel Prize he was almost totally out of print in America, but not in the French version !

How do you explain that ?

In some ways, Faulkner was taken almost as a Kind of cheap novelist, in the same way that at that point Howard Hawks films, Sam Fuller films weren't taken seriously. Americans wanted art, something that seemed like art. Howard Hawks and John Ford were too ordinary, too easily understood. I don't know, maybe my understanding of Hawks is too Frenchified, but I was so struck by Howard Hawks, by the fact that almost always you see a person from the waist up, there are very few close-ups, there are very few long shots, so it's very much the people on screen as a companion. And without looking at Godard, without reading Godard, I don't think I would have seen movies like that. And also remember, this was the time when some Americans started to hate America. The Vietnam war shocked me, I was trying so hard to be American and I hated everything that America did. Godard, I think, had the same problems. He could despise the capitalism of America but he could love the look of American cars. I had the same ambivalence. But I could still love some general idea of America, which for me came from the notion of this space where a person meanders around, a person drifts, a person wanders. That's been so important to me because I don't know that kind of space, I've lived in an urban space, and the idea of America is a rural space. At the end of the sixties there was still this illusion that all you had to do was move from crowdedness to emptiness, that history didn't exist.

According to what you say, American space was not expressed by painting, but through cinema.

But also through music, in the sense that at first it seemed like all music was country music. The Velvet Underground introduced the city. A New York space was important to me. New York isn't about views. In the kind of work I did, it's the spaces that you're in the middle of that count, not the spaces that you have the luxury to look at. And for me, that luxury means the development of an object. It's difficult for something to exist as an object when you're using it, or you're in the middle of it, or it's engulfing you.

Your last show in Paris, at Anne de Villepoix, was very impressive in that way. It was about the closed space of the city, and the object invading this space. But it was not really an object. When did the object actually appear in your work, and why, and which kind of object ?

I think the first introduction of objects was a combination of furniture and slides, in 1973, '74, '75. It
was like getting rid of my own person and having some kind of replica, in the form of fleeting images - almost trying to make myself disappear in the light of slides. They changed quickly, you could never see one long enough to really focus on it. It went too fast to be an object, so you got hints of things, you got intimations of things.

You actually came a bit after the object generation.

Thinking and decisions were important to me. Maybe I rejected chance too much. But it's hard to know because so much a part of my development were things like John Cage, and even if I never saw Oldenburg happenings, Kaprow happenings, I obviously knew about them, so I had to go somewhere else. But there's something more convincing...

Yes, I think it is about the model. If you try to find a model you can't use chance, but chance can be used to build the model. It is a tool, just like the subtitle of
The Whole Earth Catalogue, which you were reading a lot at the end of the sixties : " Access to Tools. " You use the model as a tool, to give yourself an identity, to survive. So you are very far from the surrealist idea of the city, and the chance encounter, and the found object.

I'm not so sure. Surrealist writing, more than surrealist painting, did mean something to me. Breton's
Nadja, for instance. I wanted the chance encounter, and the city, but it was not to go through it, not to go elsewhere. What was so important to me about minimal art was that you weren't supposed to look through a frame, you were very much in this present space. Is that specifically American ? I think it is.

It is about the real thing. And I think there is still a need for the real, even if it can't go through such simple things as an object. My feeling is that you wanted to reject the influence of Pop art, because it is too much about the image, and because your way of looking at the vernacular - which is a very strong idea in Pop art - was much more through literature than through the object and the image.

If anything, the vernacular image probably comes from the convention of words. The kind of language that interests me is a phrase like " I would be doing something. " The language is very definite, but there's this openness about when it occurs, or how it occurs. Something is presented in the world as a fact, but language can deny it, deny it as a determinate.

The openness goes through language. The world of objects is a closure.

When I was writing, I got to the point where I couldn't use words anymore ; once I used objects I could use words again with all their reverberation, all their connotation. Then the words could fight against the object, deny the object, enhance the object. There was this combination that seemed so important.

We should talk about architecture, it was a big change in your work.

When I was doing live work, the context, the place for action, was as important as the action. When I did
Seed Bed in 1972, there had to be a room, there had to be a floor, only then could I be under the floor. So in some ways I was becoming part of the architecture. For me architecture began in the live work, as a surrounding for the body. I always loved the American term " mobile home. " Home, in some ways, was always a very frightening notion for me. But the idea of a " mobile home " has more possibilities. It's home that includes the possibility of adventure.

Do you really want to have your architectural projects built ? Every time you made a project for a public space, your project was so critical of the institution that it could not be accepted. But you never made the decision to work only in models.

I can't answer so clearly. On the one hand yes, when I propose something I want it to be built, because then it enters into an experiential space. The building of the piece would necessarily bring some kind of changes, because then other spaces in the city would be affected by the piece. On the other hand, I probably have a real bias towards the idea of theory, towards the idea of essay, towards the idea of book. So if there's just a choice of something that ties into an existing situation and can't actually change it, I would rather have the theory, or the idea that, yeah, this is never going to be in the world where people can experience it, but it might have the kind of value that an essay has.

Don't you think that most of the public-space art-works were trapped into the idea of creating controlled public spaces ? And what is your opinion concerning the removing of Richard Serra's
Tilted Arc ?

It's hard for me to talk about that piece, because I don't think it's justified that it came down. I have mixed feelings, because it's not the kind of work I would like public art to be. For me it's easier to see it as a work of abstract sculpture put into a public space. I still think public art has to be very literally public. It should act as a kind of public forum, as a place for argument and discussion. Ideally, public art should be a place where you can reconsider the public order. Obviously everything I'm saying is a confirmation of why pieces of mine will never be built !

Yes, but at the same time your recent work is very much about entertainment. The beds that you were showing last June at Anne de Villepoix were very much against seriousness in art.

Something that invites you to be on top of it, and use it, is strange for a gallery. A gallery is a place for something serious, it's a place for the visual and for me the visual means distance. If everything in a gallery or museum could be touched, the art world would probably collapse.

In the show you did some months ago in Grenoble, at the Magasin, it seemed obvious that sex was mainly within the object, conveyed through the object, and that there was no sex at all in the architectural models.

I'm afraid I've consciously kept it out. I've made too much of a distinction between something that's called private and something that's called public.

On one side you have the public space with architecture; on the other, the private space with sex. And what is the relationship ? Sex is a kind of present time. It goes on in the present - or in the past. Considering you actually make your models not to be built, is it as if public space were a kind of impossible future ?

Yeah, a kind of frustrated future. What that should teach me is that public space and sex have to be joined.

But isn't it language which joins ? Because it has always been language before. Where is the language now ? Where is the voice, for example ?

The more that I wanted my pieces to be in a public space, the more hesitant I was to use the sign of my own person. The written language is the sign of the tribe, the dictionary, the general code; spoken language is the particular, personalized twisting of that code. And it seems like the work from the beginning to now has been a gradual trying to get rid of as much of that person as possible.

Language, for you, is connected with the voice, because the voice is the medium of an interconnection between people. When you began, you had to destroy the meaning of language on the page. But you never destroyed the meaning of language through the voice.

No. I tried to cut it down, I made it sparer, but I never destroyed it. The voice is like the residue of a person. It's like the one last gasp of a person.

Jean-François Chevrier