Application & Implication


 

"Actes de présence, jeunes architectes en Europe" (extrait)
Techniques & Architecture, Paris, Août/ Septembre 1993

Construire en Europe, est-ce un mythe, une réalité culturelle, territoriale, ou l'apprentissage d'un exercice professionnel dans un contexte mal connu ? Il s'agit de tout ceci à la fois, le projet riche des ouvertures des premiers termes, la réalisation, tenue par les contraintes des derniers.

En mai 1993, le Centre National d'Art Contemporain de Grenoble, le Magasin s'ouvrait à une rencontre européenne d'architecture en se plaçant délibérément dans un domaine théorique, sous le titre « applications-implications, modèles de pensée et acte de présence ». Des concepteurs de formations et de pays européens divers étaient invités. On ne leur demandait pas des panneaux montrant leurs travaux. Non, grandeur nature, à l'échelle 1/1, ils devaient construire un édifice-emblème, sous la halle de fer du Magasin construite par Gustave Eiffel pour l'exposition universelle et remontée à Grenoble. Ainsi, Bernd Albers de Zurich, Yves Arnold et Isabel Herault de Grenoble, Donald Bates (USA) du Laboratory of Primary Studies in Architecture, de Briey-en-Forêt, Ben Van Berkel d'Amsterdam, Odile Decq et Benoît Cornette de Paris, le groupe D'Ecoi, Enric Miralles, Wolfgang Pauzenberger et Michael Hofstätter, de Vienne, ont-ils chacun édifié une fabrique, une petite folie. Leur juxtaposition crée une « rue » dont les édifices, pour multiformes qu'ils soient, ont en commun un singulier aveuglement à leur voisinage. Présentés dans ce lieu voué à l'art contemporain, ils devaient inviter « à connaître les spécificités respectives de l'Art et de l'Architecture ». Or c'est l'ambiguïté qui paraît. Si la construction d'Odile Decq et Benoît Cornette exprime bien leur travail sur la tension, sur l'écartement des feuilles, la courbure, la perception en mouvement comme composante de l'espace, d'autres évoquent davantage des objets produits par l'art. Avec une pertinence, pour certains douteuse. Ceci a un petit air de ferraille, plus « destroy » que « déconstruit », même si les contresens que suscite la philosophie de Derrida sont omniprésents, comme marque théorique d'une tendance plus internationale, voire américaine, qu'européenne. La plus positive contrainte demeure l'obligation de l'échelle 1/1, l'objet praticable, introduisant la polémique sur l'idée de représenter l'architecture non à travers la maquette d'objet, mais directement à travers une figuration de concept. Là aussi était la difficulté. Il faut cependant saluer cette initiative, même si elle semble trop circonscrite dans une sensibilité, voire un style. De telles rencontres sont trop rares, dépendantes de trop de moyens institutionnels, et des initiatives comme la « première rue » à Briey-en-Forêt, ou la « cinquième rue » à Firminy, qui sont de la même « famille », gagneraient à se confronter à d'autres.
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Marie-Christine Loriers