Monica Bonvicini

 

"Face au mur"
Le Journal des Arts, Paris, 29 juin - 30 août 2001, p.12

Les coups de Monica Bonvicini au Magasin de Grenoble.

En collaboration avec le Kunstwerke de Berlin et le centre d'art PS 1 de New York, le Magasin présente à Grenoble la première exposition en France de Monica Bonvicini. Née en Italie en 1965 et travaillant aux États-Unis et en Allemagne, elle s'attache à la dénonciation d'un environnement architectural aliénant et machiste.

Pertinentes ou excessives, la dizaine d'oeuvres présentées ici empruntent ouvertement leur forme à la sculpture minimale et leur discours aux études féministes.


Placée à l'entrée des espaces d'exposition du Magasin, l'installation vidéo Hausfrau Swinging (1997) donne au visiteur une impression aussi violente qu'exacte du travail de Monica Bonvicini. De la subversion des canons modernistes par le recours à des formes empruntant à l'esthétique minimale, à la dénonciation de la place réservée à la femme au sein d'un environnement conditionné par une architecture patriarcale, la quasi-totalité du vocabulaire et des préoccupations de l'artiste y sont présents. Dans cette référence à un dessin réalisé par Louise Bourgeois dans les années 1940, c'est le visage pris dans une maison miniature qu'une femme se cogne avec violence et ténacité aux deux murs élevés devant elle.

"Détruire dit-elle", répète d'ailleurs, après Marguerite Duras, Bonvicini quelques pièces plus loin. Là, dans une ambiance de chantier, deux murs servent d'écrans pour la projection en boucles de fragments tirés de classiques cinématographiques des années 1960. Chez Antonioni, Godard ou Fellini, les héroïnes féminines sont montrées dans leur dépendance à la verticalité. Qu'importe leur histoire, leur rôle ou leur photogénie, Catherine Deneuve, Monica Vitti ou Anna Karina ne se montrent qu'adossées à un mur, encadrées par une porte ou une fenêtre. Usant de la citation et de la coupe arbitraire pour livrer un pamphlet sur la place réservée à la femme dans le milieu urbain, ce stratagème d'une mauvaise foi évidente se retrouve dans I believe in the skin of thing as in that of woman. Montré lors de l'édition 1999 de la Biennale de Venise, ce cube de placoplâtre rassemble sur ses murs les aphorismes phallocratiques des architectes et des caricatures réalisées par l'artiste. Alberti, Perret ("Une fenêtre est une femme, elle se tient debout") ou Loos, tout le monde passe dans ce défouloir où se trouvent aussi les critiques féministes de Zaha Hadid et de Leslie Kanes Weisman, auteur de Discrimination by design. Signalée par des trous dans les murs, l'envie d'en découdre est ici évidente.

 

"Une femme peut faire des plans"

Elle est aussi présente lorsque l'artiste passe, par l'intermédiaire des contremaîtres, des questionnaires à des ouvriers du bâtiment ("Qu'est-ce que votre femme/votre petite amie pense de vos mains dures et sèches ?" (1998)). Interrogeant ces derniers sur la façon dont ils appréhendent leur métier, elle rend la parole à des exécutants conditionnés à fermer les yeux sur les murs qu'ils édifient - un aveuglement également suggéré par 7h30 , séries d'exercices de maçonneries scolaires exposés dans la nef du Magasin. A la façon de Murs tournants (2001), structure minimale et carcérale réalisée à partir de barrières vendues dans les magasins de bricolage, et installée au milieu des formulaires remplis, la pièce suggère la responsabilité de tous dans la mise en place de l'environnement architectural. Mais, dans le même temps, répondre à l'érotisme prolétarien de Fassbinder et de Pasolini, ou aux muscles disco des Village People, en demandant à des manoeuvres ce qu'ils pensent de leurs collègues homosexuels ne revient qu'à souligner une évidence. Le machisme ambiant est parfois plus ambigu. À la question "La construction est-elle un métier de femme ?", un ouvrier répond qu'"une femme peut faire des plans".

Olivier Michelon