Vraiment féminisme et art

 

Quand les muses passent à l'attaque, à Grenoble
Le Monde, Paris, n°16258, 6 mai 1997, p. 26

La critique américaine Laura Cottingham a conçu, pour Le Magasin, une exposition sur le féminisme et l'art, des années 70 aux années 90, en mettant l'accent sur les pionnières

GRENOBLE
de notre envoyée spéciale
En France, contrairement aux Etats-Unis, l'approche de la création des artistes en tant que femmes n'est pas entrée dans les moeurs, pas même chez les femmes, qui y voient volontiers une manière de les cantonner dans une dimension artistique mineure. Ce en quoi elles n'ont pas forcément tort. Le thème du féminisme en art continue en effet de susciter les pires rejets, et le travail des pionnières en la matière est passé aux oubliettes.
La présence toujours accrue depuis les années 70 des femmes sur la scène artistique mériterait qu'on prenne un peu plus sérieusement la mesure de leur apport à la dynamique de la scène artistique d'aujourd'hui. Et pas seulement à travers la prise en compte de la représentation du corps, pas seulement à travers les images de la sexualité, thèmes privilégiés par celles qui sont montées au créneau dans les années 80, quand « les muses sont passées à l'attaque », comme le dit la critique anglaise Sarah Wilson, dans un texte pour la récente exposition « Féminin masculin » à Beaubourg.
Conçue par la critique américaine Laura Cottingham, l'exposition du Magasin de Grenoble « Vraiment: féminisme et art » est l'esquisse d'une histoire de la création des artistes femmes dans les années 70, au temps du MLF et des manifestations pour l'avortement libre. Le contexte est évoqué en introduction, par quelques-uns des rares documents filmés dûment archivés (notamment la marche de Bobigny de 1972), et une salle fait état des publications françaises et américaines des groupes et mouvements de femmes, ainsi que des échanges épistolaires entre artistes de part et d'autre de l'Atlantique. On peut regretter cette limitation, regretter aussi que les années 80, années de grandes conquêtes de la scène artistique côté institution et côté marché, aient été occultées.

ORIGINALITÉ VISUELLE
Mais en mettant l'accent sur les années 70, en reliant aux oeuvres d'alors celles de jeunes artistes des années 90, l'exposition permet de rappeler l'existence de pionnières méconnues, sans lesquelles les « battantes » des années 80, de Jenny Holzer et Barbara Kruger à Cindy Sherman et Kiki Smith, ne seraient pas montées au créneau avec autant d'armes et d'originalité visuelles.
L'exposition propose donc un regard sur les oeuvres d'artistes américaines comme Marta Rosler, Mierle Laderman Ukeles, Hannah Wilke ou Adrian Piper, et, côté français, sur Nil Yalter, Nicole Gravier, Françoise Janicot, Dorothée Selz, Tafia Mouraud, Gina Pane la plus connue sans doute parce qu'elle est morte - ou Orlan, au temps où elle jouait les putains à la FlAC en vendant ses baisers pour 5 francs... Artistes conceptuelles produisant des performances, des photos et des vidéos, elles étaient cette autre moitié de l'avant-garde qui ne faisait pas forcément de séparation entre les problèmes d'identité et les questions politiques, entre les contraintes domestiques et l'environnement social. De Nil Yalter proposant, en 1974, un film sur l'enfermement des femmes à la prison de la Roquette à Adrian Piper qui commence alors à développer une imagerie sur les minorités, le racisme et les exclusions, le champ thématique alors ratissé est large.
On peut citer la perfomance « Dissolution dans l'eau » de Lea Lublin qui, un jour de 1978, balance à la Seine, depuis le pont Marie (le choix du pont n'est pas un hasard !)un grand calicot couvert d'interrogations du genre: «La femme est-elle une machine sexuelle? La femme est-elle une sainte mère? La femme est-elle un sac à sperme? La femme est-elle une propriété privée ? », etc. Et Tania Mouraud, qui elle aussi s'interroge sur l'identité des femmes à travers le regard des autres dans ses séries de photos « on m'appelle... », où elle se montre à tous les âges, dans des situations et vêtements de différents styles...
L'exposition manque d'ouvertures sur la période actuelle. Elle permet toutefois de faire le lien entre les démarches d'hier et d'aujourd'hui, notamment entre les couseuses, brodeuses et tricoteuses silencieuses et un rien perverses. Comme une Ghada Amer dont l'oeuvre-ouvrage consiste à noyer patiemment une imagerie érotique de magazines sous une quantité de bouclettes et de fils de couleur. Dommage qu'Annette Messager ait refusé d'être de la partie!

Geneviève Breerette