GRENOBLE
de notre envoyée spéciale
En France, contrairement aux Etats-Unis, l'approche de la création des
artistes en tant que femmes n'est pas entrée dans les moeurs, pas même
chez les femmes, qui y voient volontiers une manière de les cantonner
dans une dimension artistique mineure. Ce en quoi elles n'ont pas forcément
tort. Le thème du féminisme en art continue en effet de susciter
les pires rejets, et le travail des pionnières en la matière est
passé aux oubliettes.
La présence toujours accrue depuis les années 70 des femmes sur
la scène artistique mériterait qu'on prenne un peu plus sérieusement
la mesure de leur apport à la dynamique de la scène artistique
d'aujourd'hui. Et pas seulement à travers la prise en compte de la
représentation
du corps, pas seulement à travers les images de la sexualité,
thèmes privilégiés par celles qui sont montées
au créneau dans les années 80, quand « les muses
sont passées
à l'attaque », comme le dit la critique anglaise Sarah Wilson,
dans un texte pour la récente exposition « Féminin masculin
» à Beaubourg.
Conçue par la critique américaine Laura Cottingham, l'exposition
du Magasin de Grenoble « Vraiment: féminisme et art » est
l'esquisse d'une histoire de la création des artistes femmes dans les
années 70, au temps du MLF et des manifestations pour l'avortement libre.
Le contexte est évoqué en introduction, par quelques-uns des rares
documents filmés dûment archivés (notamment la marche de
Bobigny de 1972), et une salle fait état des publications françaises
et américaines des groupes et mouvements de femmes, ainsi que des échanges
épistolaires entre artistes de part et d'autre de l'Atlantique. On peut
regretter cette limitation, regretter aussi que les années 80, années
de grandes conquêtes de la scène artistique côté institution
et côté marché, aient été occultées.
ORIGINALITÉ VISUELLE
Mais en mettant l'accent sur les années 70, en reliant aux oeuvres d'alors
celles de jeunes artistes des années 90, l'exposition permet de rappeler
l'existence de pionnières méconnues, sans lesquelles les «
battantes » des années 80, de Jenny Holzer et Barbara Kruger à
Cindy Sherman et Kiki Smith, ne seraient pas montées au créneau
avec autant d'armes et d'originalité visuelles.
L'exposition propose donc un regard sur les oeuvres d'artistes américaines
comme Marta Rosler, Mierle Laderman Ukeles, Hannah Wilke ou Adrian Piper,
et, côté français, sur Nil Yalter, Nicole Gravier, Françoise
Janicot, Dorothée Selz, Tafia Mouraud, Gina Pane la plus connue sans
doute parce qu'elle est morte - ou Orlan, au temps où elle jouait
les putains à la FlAC en vendant ses baisers pour 5 francs... Artistes
conceptuelles produisant des performances, des photos et des vidéos,
elles étaient
cette autre moitié de l'avant-garde qui ne faisait pas forcément
de séparation entre les problèmes d'identité et les questions
politiques, entre les contraintes domestiques et l'environnement social.
De Nil Yalter proposant, en 1974, un film sur l'enfermement des femmes à
la prison de la Roquette à Adrian Piper qui commence alors à développer
une imagerie sur les minorités, le racisme et les exclusions, le champ
thématique alors ratissé est large.
On peut citer la perfomance « Dissolution dans l'eau » de Lea Lublin
qui, un jour de 1978, balance à la Seine, depuis le pont Marie (le
choix du pont n'est pas un hasard !)un grand calicot couvert d'interrogations
du genre:
«La femme est-elle une machine sexuelle? La femme est-elle une sainte
mère? La femme est-elle un sac à sperme? La femme est-elle une
propriété privée ? », etc. Et Tania Mouraud, qui
elle aussi s'interroge sur l'identité des femmes à travers
le regard des autres dans ses séries de photos « on m'appelle... »,
où elle se montre à tous les âges, dans des situations
et vêtements de différents styles...
L'exposition manque d'ouvertures sur la période actuelle. Elle permet
toutefois de faire le lien entre les démarches d'hier et d'aujourd'hui,
notamment entre les couseuses, brodeuses et tricoteuses silencieuses et un rien
perverses. Comme une Ghada Amer dont l'oeuvre-ouvrage consiste à noyer
patiemment une imagerie érotique de magazines sous une quantité
de bouclettes et de fils de couleur. Dommage qu'Annette Messager ait refusé
d'être de la partie!
Geneviève Breerette