Pourquoi avoir choisi ce titre, « Vraiment» ?
Le féminisme est un mot assez délicat à utiliser, ici,
en France. Comme il représente de nombreux problèmes politiques
et sociaux, j'ai voulu appuyer, souligner et revendiquer ce mot. Vraiment est
aussi employé de façon ironique. On m'a souvent dit: Tu ne peux
pas faire ça, pas une expo sur l'art féministe ! et j'ai toujours
répondu : Vraiment ? Je peux le faire!
Quelle est votre définition du féminisme ?
Le féminisme se définit de lui-même, il a sa propre histoire
qui commence au XIXème siècle. C'est le mouvement pour la liberté
et la libération de la femme. C'est la définition la plus simple
et la seule, je pense.
Le statut de la femme a-t-il beaucoup changé depuis ?
Pas assez, bien sûr. En préparant cette expo, j'ai recherché
tout ce qui avait pu se faire dans les années 70 à propos de l'art
et de la politique, parce que je pense que ce mouvement était vraiment
révolutionnaire. C'est aussi pour cela que j'ai choisi d'inscrire des
Américaines et des Françaises qui travaillaient sur les mêmes
idées au même moment, lorsque le MLF a émergé dans
tous les centres urbains de tous les pays capitalistes, à la fin des
années 60. Mais depuis, nous avons assisté, surtout ces quinze
dernières années,à un formidable retour en arrière
auquel le phénomène des top-models a contribué et qui remet
une fois de plus la femme dans un moule. Je ressens encore plus à Paris
cette place ultra-rétrograde de la femme dans la société.
L'art et la politique sont-ils réellement indissociables ?
Je ne vois vraiment pas comment l'art pourrait ne pas être en relation
avec la politique. Toute activité humaine prend forme dans un champ politique.
L'art n'y échappe pas. On a essayé de séparer l'art du
politique avec, par exemple, la vision américaine du modernisme, entretenue
par le critique d'art Clément Greenberg. Mais, en soutenant Pollock,
De Kooning, Newman et la peinture en tant que peinture, il y avait une autre
idée, totalement politique, de prendre la place de Paris comme centre
de l'art mondial, d'en finir avec l'hégémonie du pouvoir culturel
européen. L'art qui se dit apolitique, inoffensif, est souvent le plus
subversif. Qui est l'auteur de cet art ? À qui s'adresse-t-il ? Où
va l'argent ? Tous ces facteurs ne peuvent être séparés.
La tendance est de considérer l'art comme un rayon de soleil, une belle
chose, en dehors de toutes implications matérielles.
Certaines artistes ont une démarche ambiguë vis-à-vis
du féminisme. Orlan, par exemple, passe par la chirurgie esthétique
pour ressembler à des critères de beauté correspondants
à des clichés masculins...
Effectivement, je n'ai pas choisi Orlan pour ses travaux récents et discutables,
mais pour son implication féministe au début des années
70. Ce qu'elle fait maintenant est très problématique et je ne
le soutiens en aucun cas. J'ai d'ailleurs écrit contre son travail actuel,
dans le magazine d'art anglais « Frieze ». Mais son passé
ne peut être ignoré et c'est pour cela qu'elle est dans l'exposition.
Ce qui préoccupe le plus les femmes artistes, c'est le corps de
la femme ?
L'origine de l'oppression envers les femmes est la désignation de leur
corps comme étant un corps femelle, dont elles se sentent souvent esclaves
ou victimes. Le féminisme les a encouragées à être
plus conscientes du contrôle effectué sur leur corps dans un espace
politique et social. Il faut "déclassifier" le corps, le détacher
de toutes les assimilations possibles. Et c'est aussi pourquoi le corps est
souvent au centre des préoccupations de nombreuses artistes, même
si leur art ne peut pas être réduit à cette dimension.
Que pensez-vous des propos de Julia Kristeva selon lesquels les féministes
américaines sont responsables de rendre les hommes impuissants, homosexuels
ou distraits ?
Mon opinion est que Julia Kristeva n'a jamais été une féministe
et a toujours été très conservatrice. Sa déclaration
est stupide, et la situation en France tout simplement incroyable! Le paradoxe
est surprenant : c'est à une Française, Simone de Beauvoir que
l'on doit l'ouvrage majeur pour le développement du féminisme,
«Le Deuxième Sexe », et cet héritage semble avoir
complètement disparu. Les Françaises ne sont pas allées
plus loin.
Êtes-vous partisane du S.C.U.M ? (Society For Cutting Up Men,
mouvement dont Valérie Solanas devint la triste héroïne en
tirant à bout portant sur Andy Warhol en 1968).
Effectivement, la triste
aventure de Valérie Solanas m'a beaucoup touchée. C'est la seule
fois où une féministe a commis un acte de violence grave et
il est assez surprenant que cet événement se soit produit dans
la sphère de l'art. Solanas était lesbienne, mais aussi prostituée,
droguée, très abîmée. Warhol exploitait tous les
gens qui erraient autour de lui. Il était très dur. Il avait
réalisé
un film, «I, A Man» où les hommes étaient nus et
la seule personne habillée, Solanas ! Warhol déclarait: Le
meilleur profil de Solanas ? - son cul. Il était comme un vampire.
Si Solanas n'avait pas voulu le tuer, quelqu'un d'autre lui aurait tiré dessus.
Être homosexuel(le) aujourd'hui, c'est être différent
ou comme les autres ?
La seule chose et la plus importante c'est d'éliminer toutes les fausses
mythologies qui ont été érigées autour de la sexualité.
Aujourd'hui, on ne peut plus penser que l'hétérosexualité
est naturelle ou biologique. Il faut absolument essayer de donner plus de liberté
à chacun pour trouver sa propre voie. Mais les idées de différence
ou de supériorité ne sont pas des questions principales, l'essentiel
est de transformer la situation actuelle vers une situation plus lucide, plus
intelligente.
Il faut rester très Têtu!
Oui, c'est sûr. "Têtu", c'est beaucoup mieux que "Out".
(rires). Mais, je reste très optimiste tout en gardant mes idées
et mes convictions. Il y aura plus de possibilités de choisir pour chacun
dans l'avenir. Être libre, c'est le but.
Yan C.