Vraiment féminisme et art

 

Laura Cottingham
Têtu, Paris, n°14, mai 1997, p. 28 & 29

Elle aime les femmes et surtout l'art. Laura Cottingham, qui enseigne la critique d'art à la Cooper Union School de New York, est l'auteur de « Lesbians Are So Chic... » et de « Hot Potatoes : Minimalism, Feminism, Agit Prop». Également responsable d'une anthologie de l'art féministe en vidéo, « Not For Sale », elle organise au Magasin de Grenoble « Vraiment: le féminisme et l'art».

Pourquoi avoir choisi ce titre, « Vraiment» ?
Le féminisme est un mot assez délicat à utiliser, ici, en France. Comme il représente de nombreux problèmes politiques et sociaux, j'ai voulu appuyer, souligner et revendiquer ce mot. Vraiment est aussi employé de façon ironique. On m'a souvent dit: Tu ne peux pas faire ça, pas une expo sur l'art féministe ! et j'ai toujours répondu : Vraiment ? Je peux le faire!

Quelle est votre définition du féminisme ?
Le féminisme se définit de lui-même, il a sa propre histoire qui commence au XIXème siècle. C'est le mouvement pour la liberté et la libération de la femme. C'est la définition la plus simple et la seule, je pense.

Le statut de la femme a-t-il beaucoup changé depuis ?

Pas assez, bien sûr. En préparant cette expo, j'ai recherché tout ce qui avait pu se faire dans les années 70 à propos de l'art et de la politique, parce que je pense que ce mouvement était vraiment révolutionnaire. C'est aussi pour cela que j'ai choisi d'inscrire des Américaines et des Françaises qui travaillaient sur les mêmes idées au même moment, lorsque le MLF a émergé dans tous les centres urbains de tous les pays capitalistes, à la fin des années 60. Mais depuis, nous avons assisté, surtout ces quinze dernières années,à un formidable retour en arrière auquel le phénomène des top-models a contribué et qui remet une fois de plus la femme dans un moule. Je ressens encore plus à Paris cette place ultra-rétrograde de la femme dans la société.

L'art et la politique sont-ils réellement indissociables ?
Je ne vois vraiment pas comment l'art pourrait ne pas être en relation avec la politique. Toute activité humaine prend forme dans un champ politique. L'art n'y échappe pas. On a essayé de séparer l'art du politique avec, par exemple, la vision américaine du modernisme, entretenue par le critique d'art Clément Greenberg. Mais, en soutenant Pollock, De Kooning, Newman et la peinture en tant que peinture, il y avait une autre idée, totalement politique, de prendre la place de Paris comme centre de l'art mondial, d'en finir avec l'hégémonie du pouvoir culturel européen. L'art qui se dit apolitique, inoffensif, est souvent le plus subversif. Qui est l'auteur de cet art ? À qui s'adresse-t-il ? Où va l'argent ? Tous ces facteurs ne peuvent être séparés. La tendance est de considérer l'art comme un rayon de soleil, une belle chose, en dehors de toutes implications matérielles.

Certaines artistes ont une démarche ambiguë vis-à-vis du féminisme. Orlan, par exemple, passe par la chirurgie esthétique pour ressembler à des critères de beauté correspondants à des clichés masculins...
Effectivement, je n'ai pas choisi Orlan pour ses travaux récents et discutables, mais pour son implication féministe au début des années 70. Ce qu'elle fait maintenant est très problématique et je ne le soutiens en aucun cas. J'ai d'ailleurs écrit contre son travail actuel, dans le magazine d'art anglais « Frieze ». Mais son passé ne peut être ignoré et c'est pour cela qu'elle est dans l'exposition.

Ce qui préoccupe le plus les femmes artistes, c'est le corps de la femme ?
L'origine de l'oppression envers les femmes est la désignation de leur corps comme étant un corps femelle, dont elles se sentent souvent esclaves ou victimes. Le féminisme les a encouragées à être plus conscientes du contrôle effectué sur leur corps dans un espace politique et social. Il faut "déclassifier" le corps, le détacher de toutes les assimilations possibles. Et c'est aussi pourquoi le corps est souvent au centre des préoccupations de nombreuses artistes, même si leur art ne peut pas être réduit à cette dimension.

Que pensez-vous des propos de Julia Kristeva selon lesquels les féministes américaines sont responsables de rendre les hommes impuissants, homosexuels ou distraits ?
Mon opinion est que Julia Kristeva n'a jamais été une féministe et a toujours été très conservatrice. Sa déclaration est stupide, et la situation en France tout simplement incroyable! Le paradoxe est surprenant : c'est à une Française, Simone de Beauvoir que l'on doit l'ouvrage majeur pour le développement du féminisme, «Le Deuxième Sexe », et cet héritage semble avoir complètement disparu. Les Françaises ne sont pas allées plus loin.

Êtes-vous partisane du S.C.U.M ? (Society For Cutting Up Men, mouvement dont Valérie Solanas devint la triste héroïne en tirant à bout portant sur Andy Warhol en 1968).
Effectivement, la triste aventure de Valérie Solanas m'a beaucoup touchée. C'est la seule fois où une féministe a commis un acte de violence grave et il est assez surprenant que cet événement se soit produit dans la sphère de l'art. Solanas était lesbienne, mais aussi prostituée, droguée, très abîmée. Warhol exploitait tous les gens qui erraient autour de lui. Il était très dur. Il avait réalisé un film, «I, A Man» où les hommes étaient nus et la seule personne habillée, Solanas ! Warhol déclarait: Le meilleur profil de Solanas ? - son cul. Il était comme un vampire. Si Solanas n'avait pas voulu le tuer, quelqu'un d'autre lui aurait tiré dessus.

Être homosexuel(le) aujourd'hui, c'est être différent ou comme les autres ?
La seule chose et la plus importante c'est d'éliminer toutes les fausses mythologies qui ont été érigées autour de la sexualité. Aujourd'hui, on ne peut plus penser que l'hétérosexualité est naturelle ou biologique. Il faut absolument essayer de donner plus de liberté à chacun pour trouver sa propre voie. Mais les idées de différence ou de supériorité ne sont pas des questions principales, l'essentiel est de transformer la situation actuelle vers une situation plus lucide, plus intelligente.

Il faut rester très Têtu!
Oui, c'est sûr. "Têtu", c'est beaucoup mieux que "Out". (rires). Mais, je reste très optimiste tout en gardant mes idées et mes convictions. Il y aura plus de possibilités de choisir pour chacun dans l'avenir. Être libre, c'est le but.

Yan C.