Lothar Hempel Alphabet City


 


«Le tagueur statufié»
Les affiches de Grenoble, Grenoble, 23 février au 2 mars 2007, p.149

Les sculptures taguées par leur sculpteur même... Au-delà du gag, l'exposition de Franck Scurti au Magasin pose de vraies questions; et démontre une véritable ambition.

La crainte des élus locaux, lorsqu'il s'agit aujourd'hui d'installer une sculpture dans l'espace public est celle des tags et des graffitis. Du coup, Franck SCURTI tranche dans le vif, proposant des sculptures préalablement taguées! Par-delà la malice, l'installation du Lyonnais (ancien des Beaux-Arts de Grenoble) frappe par son ampleur et son ambition. SCURTI a en effet transformé la «Rue» du Magasin en un authentique parc de sculptures. Au reste, ces neuf oeuvres - ronde-bosse, bas-relief, mur peint - ne sont nullement des leurres (contrairement par exemple aux maquettes en résine de Bertrand LAVIER, lesquelles ne résisteraient guère au
séjour prolongé en plein air), mais bien des pièces en aluminium, prêtes à affronter les rudoiements de l'homme et les aléas du temps. La vérité du matériau vise à démontrer la réalité de l'oeuvre.

Ces sculptures, pourtant, frôlent le pastiche, l'exercice de style «à la manière de...» . Si l'exposition s'ouvre par un nu emblématique de la statuaire classique (encore que la tète du modèle soit remplacée par un cube), la suite s'attache à l'abstraction du siècle dernier: biomorphisme façon Jean ARP, alternances mathématiques façon VASARELY, structure «monoforme» façon Gottfried HONEGGER, «ligne indéterminée» façon Bernar VENET, etc. Cette «imitation» ne va pas, cependant, sans écarts: formes altérées par rapport aux canons artistiques, ou couleurs ignorant le chromatisme type du courant dont l'oeuvre est inspirée. Ces entorses à l'ordre esthétique dérangent notre aspiration à une beauté idéale. D'autant que ce jeu de références se trouve parasité par l'adjonction forcenée de graffs et de tags...

Cette collision entre culture urbaine et beaux-arts donne à réfléchir. D'abord, parce que l'artiste a choisi de ne pas plaquer ces graffs sur l'oeuvre, mais de les intégrer à elle, en les gravant en creux dans la matière. Ensuite, parce que ces tags «trouvés» ont été isolés de leur contexte d'origine: recopiés, puis rapportés sur la sculpture. Ainsi dénaturés, ces «relevés d'inconscient collectif» n'agressent plus l'oeuvre, mais deviennent une part d'elle. En incorporant des signes en deux dimensions dans les trois dimensions de la sculpture, l'artiste pose ainsi la question de la figure et du fond - de la forme devenant fond, dès lors qu'une autre forme se pose sur elle. En dépit de son humour, le travail de Franck SCURTI dépasse donc de beaucoup l'anecdote.

Jean-Louis Roux