Lothar Hempel Alphabet City


 


«Surfaces de réparation»
L'Oeil, Paris, Mars 2007, p.69

La rue dans la Rue. Au Magasin, le grand et long volume sous verrière que constitue l'espace central d'exposition a été baptisé la Rue. Franck Scurti envisage justement d'y déposer une série de sculptures, de celles que l'on croise sans les voir dans l'espace public. Les cinq grandes silhouettes - deux bas-reliefs - exécutent un ballet familier. Entre une sculpture de square et une géométrie toute vasarélienne, on croirait identifier un Tony Smith ou la rondeur d'un Hans Arp.
Alors quoi? Ce pourrait être un énième geste de reprise ou de déplacement, revisitant quelques standards de l'histoire de l'art récente. Ne resterait au fond qu'à poser dans l'espace public des sculptures qui ne soient plus que parodies d'elles-mêmes ou variations sur des registres formels préexistants. Mais à y regarder de plus près, les figures n'avouent qu'une dette lointaine et ne jouent qu'une partition stylistique teintée d'ironie.
«Qu'est-ce qu'une sculpture publique?», titre d'ailleurs l'artiste. Coup de patte à la gestion de l'exercice par l'État et début de réponse: «Une forme déjà taguée», ironise Franck Scurti qui, du même coup, prend acte de cette image
nouvelle de l'oeuvre dans la rue. Plutôt que se contenter d'en exposer une version ready-made, sculpture + tag ou sculpture pré-taguée, c'est au tag lui-même qu'il revient de faire forme et donner lieu à un geste plastique.
Chaque sculpture est creusée du dessin de l'affront supposé. Chaque surface «accuse réception» de la pression exercée par le tag, comme une incrustation - définitive - une «défonce dans la matière», explique Franck Scurti. À cette bonhomme assemblée de sculptures, s'adjoint au final un jeu formel, une discussion contrastée entre figure et fond. Et pour mieux jouer son affaire, Scurti investit encore les murs de la Rue de quelques applications urbaines.
«Une manière de redonner de l'inconscient collectif» à ces formes, conçues au fond par les tags, glisse Franck Scurti, qui n'aime rien tant que dérouter le statut et la fonctionnalité des signes qu'il prélève dans notre espace quotidien.

Manou Farine