John Miller
«John Miller “Encore de la merde ?“ »
Beaux Arts magazine, Paris, août 1999, p. 14
À Grenoble, le Magasin expose les oeuvres de John Miller. Mauvais goût
assuré. L'artiste américain le revendique comme une stratégie
artistique. But avoué : décoder les stéréotypes
de la société américaine…
«De qui se moque-t-on ?», pourrait-on dire en découvrant
le travail de John Miller. Des assemblages d'objets recouverts d'un empâtement
excrémentiel, un mannequin qui semble littéralement avoir «marché
dedans», un tas de déchets où se mélange la terre,
l'argent et des godemichés, cela a de quoi déconcerter. Ce serait
prendre au premier degré ce qui relève d'une critique élaborée.
John Miller est issu de Cal Arts, l'école fondée par Walt Disney
à Los Angeles, devenue bastion de l'avant-garde conceptuelle des années
70. L’artiste américain appartient au courant ayant digéré
la déconstruction post-moderniste et qui, à la suite de John Baldessari
et Mike Kelley, travaille au décodage des stéréotypes qui
fondent la société américaine.
Théoricien et critique, John Miller, professeur à l'université
de Yale dans le Connecticut, développe une analyse ironique de l'art
et de ses moyens de production. Cela passe par une stratégie provocatrice
basée sur l'utilisation de la culture populaire, du mauvais goût,
du grotesque. Il s'inscrit dans le courant camp (littéralement,
«mauvais goût») qui se répand sur la côte ouest
à partir des années 70 et trouve un début de reconnaissance
dans les années 90 avec des figures telles que Paul McCarthy, Jim Shaw
et Mike Kelley. Au contraire du kitsch esthétisant d'un Jeff Koons qui
suit le phénomène pop, le camp revendique une vulgarité
brute, sans séduction. Au-delà de l'aspect scatologique, le contenu
des oeuvres de Miller nous éclaire de manière significative sur
la société du spectacle et pose des questions fondamentales sur
les enjeux de l'art aujourd'hui.
Elles portent sur l'opposition réel/symbolique dans la représentation,
sur les passages art/marchandise dans le contexte d'une économie capitaliste
et leur impact sur le spectateur. L'artiste joue toujours sur l'ambiguïté
de l'apparence et le paradoxe de la fabrication des images. Ainsi, dans une
série de toiles peintes d'après photographies, la banalité
des clichés de l'Ouest américain contraste avec l'emploi de subtils
glacis comme pour The Fatalistic Game, 1995. L'impasto qui
recouvre ses assemblages n'est pas un résidu de déchets, mais
la lente élaboration de couches de pâte à modeler et de
peinture acrylique. Ses peintures récentes réalisées à
l'ordinateur subissent un traitement très élaboré de surimpression
et de recomposition telle Turn into Earth, 1999.
Dans cette oeuvre, le sujet est le jeu télévisé dont il
ne reste plus que le décor. L'animateur et les concurrents ont été
effacés sans laisser de trace. Que ce soit par la construction de la
touche ou la saturation de la surface, la préoccupation du faire n'est
pas de l'ordre du métier mais d'une activité répétitive
et systématisée. Ce sera au public de décoder l'évidence
d'un jeu dont il est quotidiennement le protagoniste.
Marie de Brugerolle