John Miller



 

«John Miller. Entre Midi et deux»
Kunst-Bulletin, Zürich, Juni 1999, p.32-33

Pour sa première rétrospective en France de l'artiste américain John Miller, Yves Aupetitallot et Lionel Bovier ont choisi de réunir au Magasin ses pièces en les répartissant de façon chronologique, à partir de 1983, selon cinq modules : peintures figuratives, dessins des années 80, reliefs et sculptures, séries de photographies, peintures de jeux télé. On comprend ainsi comment l'artiste a traversé l'emphase picturale des années 80, théories post-structuralistes dans la poche, et par quelles voies il a développé sa pratique artistique entre abjection et néo-critique de l'inconscient.
Depuis le milieu des années 80, le travail de John Miller ne cesse d'épingler, avec féroce ironie, les stigmates et les codes stéréotypés de la culture populaire vernaculaire américaine. En investissant ce champ visuel qui fonde la multiplicité de nos rapports - complices et critiques - au monde de la communication et de la commercialisation des signes qui le structure, John Miller pousse notre regard à décrypter les idéologies politico-culturelles auxquelles ces codes de représentation nous soumettent.
Pour cela, il indexe des objets de consommation courante qu'il installe entre simulation et décor (<Game Show>, 1999). Il peint des événements collectifs qui caractérisent les pathologies sociales actuelles (<Living Theatre: Paradise Now>, 1986) et affilie des blocs de matière marron - un <brown impasto> si loin si proche d'un sfumato de Léonard - à des mottes d'excréments méta-métaphoriques, de la peinture toujours, <dans> lesquels une tête blonde (re)fait surface ou un mannequin, à l'arrogance indifférenciée, a mis le pied droit <en plein dedans> (<Now, we're big potatoes>, 1992). Il prend des photographies qui accompagnent et structurent ses propres réflexions d'artiste critique attaché à décortiquer la complexité visuelle immanente à la densité urbaine, en réinvestissant notamment la dialectique <site/non-site> de Robert Smithson. Ses photographies de la série <Middle of the Day> (depuis 1994) ont toutes été prises entre midi et 14 heures, un créneau horaire jugé inopportun au rendu photographique et politiquement suspecté d'inscrire du temps libre dans le temps de travail, raison pour laquelle on a <de la peine à le nommer> (Christophe Cherix).

Pareilles <situations> révèlent la tonalité des ancrages maniaco-dépressifs collectifs en induisant des allers et retours permanents entre les différentes strates culturelles actuelles et poussent ainsi le <regardeur> à tester sa capacité à appréhender les conditions de possibilités critiques dont l'artiste dispose pour notamment faire (tenir debout) son mannequin, pour parler de l'histoire naturelle (de la merde référencée de Duchamp à Manzoni) ou pour se frotter à l'univers télévisuel.
La <peinture merde> (<shit-like paint>) de John Miller fonctionne comme <une arme de résistance à l'appropriation esthétique>(1). Cette arme lui permet d'aborder la question du recouvrement propre à la peinture et de démontrer à nouveau que <les artefacts culturels peuvent être indéfiniment réécrits> (Walter Benjamin). Bambi, Bambi ! Si bien que chez Miller, un plateau <de> TV se présente peint. En fait, repeint, car l'artiste le photographie, puis l'exécute, parfois en une journée, affirmant que si le temps et l'argent se gèrent, ce n'est certainement plus parce que <le temps c'est de l'argent>(1). Du reste, ses plateaux télé - des représentations à la fois socialement calées (le jeu télé) et culturellement décalées (les peintures de jeux télé), voire décadrées (des plateaux de télé peints) - sont réduits à des tableautins échelle 1/10000e qui naviguent subtilement d'un <faire comme ça> (je peins) à un <faire comme si> (je regarde la TV) tous les gagnants avaient tenté leur chance, au point de conférer à l'artiste la capacité de voir et de montrer ce qui se trame dans la systématisation et le resserrement des liens entre culture populaire et art contemporain.

Alexis Vaillant

(1) Extrait d'un entretien entre l'artiste et Lionel Bovier à paraître.