Chen Zhen
"Chen Zhen"
Beaux Arts Magazine, Paris, Septembre 1992
Quoi de neuf dans la création artistique ?
Chaque mois, Beaux Arts présente un
représentant de la génération montante.
Chen Zhen est né à Shangaï en 1955.
Il vit et travaille à Paris depuis 1986. Son travail a déjà été exposé cette
année au Centre national d'art contemporain de Grenoble et à l'Espace
des arts de Colomiers.
Le travail de Chen Zhen s'articule autour d'une réflexion centrée
sur les rapports entre l'homme, les objets et la nature.
Il faut savoir que la culture chinoise ne ramène pas tout à l'homme,
comme la nôtre, mais se base sur l'idée d'un primat de la nature,
idée qui, selon Chen Zhen, explique bien des aspects de cette culture,
y compris la survivance d'un régime qui sacrifie l'individu à la
collectivité. La nature est ce qu'il y a de plus pur et de plus spirituel.
Aussi ne s'étonnera-t-on pas de retrouver des éléments
naturels dans chacune de ses pièces : eau, sable, bois, pierre, cendre,
chacun assumant une fonction symbolique particulière.
Mais l'aspect le plus original de son travail réside peut-être
dans sa conception de l'objet. l'artiste utilise des objets de consommation
courante, des déchets, objets-cadavres qu'il recycle, non comme traces
de la vie urbaine, à la façon des Nouveaux Réalistes,
mais en leur conférant, par le biais du processus artistique, une nouvelle
existence. Ayant accompli son cycle « terrestre », l'objet-cadavre
est recueilli, isolé dans une vitrine, parfois même réargenté;
dans tous les cas, il est traité comme un être. L'objet, dont
le « dessin » est ainsi montré, est placé en situation
de
« convivialité » avec les éléments naturels.
Souvent, il est plongé dans l'eau, qui à la fois purifie, détruit
et conserve, en état de « momification transparente ». Les
rapports entre nature et objets sont parfois rendus explicites, comme dans l'installation
présentée à Saint-Rémy, qui confronte le matériau
originel (20 tonnes de bauxite) avec les objets en aluminium qui en sont issus.
Loin d'être une banale démonstration, cette pièce nous confronte
au mystère des métamorphoses dans lequel se trouve pris le système
de fabrication industrielle lui-même. Celui-ci se trouve exalté d'être
ainsi inclus dans les cycles cosmiques de vie et de mort.
Si les présupposés métaphysiques d'une telle démarche
sont évidents, ils sont à considérer non comme les fondements
d'une oeuvre qui s'en joue et les tient à distance par la banalité des
objets, mais comme les racines d'une pensée à même d'élaborer
une poétique, non du déchet, mais de l'être. En momifiant
des cadavres d'objets, Chen Zhen leur invente une âme. Et cette approche
qui consiste à spiritualiser ces signes extrêmes de nos sociétés
matiéralistes, ces signes entachés de valeurs négatives
que sont les déchets, n'est évidemment pas sans grâce.
C'est une paradoxale fleur que nous tend l'artiste chinois.
Ses installations, toujours conçues pour des lieux spécifiques
(Buren est son artiste-interlocuteur de prédilection), manifestent une
théâtralité qui induit moins l'effet spectaculaire qu'une
certaine ritualité. L'une des oeuvres les plus fortes de l'artiste fut
sans doute celle réalisée à Pourrières en 1990.
Dans une forêt incendiée, l'artiste avait accroché à 99
troncs d'arbres calcinés autant d'objets récupérés
dans la décharge voisine. Ainsi suspendus, les objets, postes de télévision éclatés,
cuisinières béantes, pneus crevés et autre rebuts, rejoignaient
la nature en une même dérive immobile, cadavres solitaires unis
deux à deux, promus, par-delà les destructions dont ils étaient
victimes et témoins, à une existence poétique. Dans beaucoup
de ses oeuvres, Chen Zhen accompagne les objets de leur représentation
peinte ou photographique et de textes chinois dépourvus de sens : signes
linguistiques ne formant pas langue. Là encore, le code ne fonctionne
pas et le discours disqualifié cède la place à la pensée
flottante de l'objet.
M.J.