Auto Reverse 2
"La vidéo joue depuis vingt ans entre introspection et
exhibition"
Journal de Genève et Gaztte de Lausanne, Genève, lundi
8 juillet 1996, p.14
Le Magasin, Centre national d'art contemporain de Grenoble, accueille
l'exposition «Auto Reverse 2», proposée par Stéphanie
Moisdon Trembley. Une immersion dans vingt ans d'un art vidéo qui joue
sur les doubles notions d'identité et d'altérité.
Partant du texte fondateur de Rosalind Krauss, qui en 1976, désignait
la vidéo comme nouvelle esthétique du narcissisme, Stéphanie
Moisdon Trembley mène une réflexion sur la capacité à la
fois réflexive et interactive de ce média. L'année dernière,
cette jeune critique française, commissaire d'exposition et cofondatrice
d'une structure de production et de diffusion de vidéos (le Bureau des
vidéos ou b.d.v.) organisait avec Saint-Gervais / Genève le séminaire Auto
Reverse 1.
Artistes, théoriciens, psychanalystes et psychiatres y confrontaient expériences,
savoirs et hypothèses. Cette année, pour la deuxième étape, Auto
Reverse 2, Stéphanie Moisdon propose une exposition au Magasin, le
Centre national d'art contemporain de Grenoble.
Confidences
C'est un mannequin de couturière habillé d'une cape rouge qui accueille
le visiteur. Il appartient à Emotion contenue, de Marie-Ange
Guilleminot. Il fait face à son double de chair, projeté sur l'écran,
doublement fragile parce qu'il s'écroule au sol, parce que l'image s'efface.
Non loin de là, Vito Acconci rampe au plus près de l'écran
pour vous susurrer ses confidences malgré tout brisées par l'absence.
Il est là avec tous les anciens (Dan Graham, Peter Campus, Bruce Nauman)
qui, dès les années 70, ont mis en exergue les capacités
de la vidéo à travailler sur l'image de soi et l'image de l'autre,
le regardant.
Mais surtout, le commissaire de l'exposition a convoqué les jeunes. Les
dessins de Daniela Pellaud affichés au mur ont été réalisés
sous hypnose. L'artiste genevoise explique dans une vidéo comment elle
a retrouvé ses gestes d'enfants. Ici, c'est un travail sur le psychisme
qui influence le geste. Sam Taylor Wood a filmé un acteur qui joue toutes
les phases du désespoir, jusqu'aux hurlements que l'on entend loin encore,
comme dans cette chambre d'hôtel proposée par Dominique Gonzalez-Foerster.
Ici, le corps, absent, devient souvenir ou promesse.
Avec les dessins de In the Arma of America, Elke Kristufek a pris son
corps en flagrant délit de déprime. Une série de photos
et une vidéo de Vanessa Beecroft, ancienne anorexique, montrent des jeunes
femmes à qui l'artiste a demandé d'exprimer le moins possible de
sentiments. Sur leurs visages lisses s'imprime alors notre propre imaginaire.
L'installation de Joel Bartoloméo comprend cinq moniteurs présentant
des bandes en boucle. Sur chaque vidéo, l'artiste marque sa présence,
cadrant son visage en gros plan, sa main caressant un mur, récupérant
la souris avec laquelle son chat vient de jouer devant lui dans une subtile mise à mort.
Autant d'apparitions, autant de questions sur le rôle de celui qui regarde
et de celui qui intervient?
Interpellations
Dans cet ensemble, sans séparation ou presque, les installations finissent
par s'interpeller les unes les autres. Certains diraient se polluer. Mais non!
Pour une fois, cette interaction prend un sens, le propos de Stéphanie
Moisdon Trembley étant justement de mettre en évidence des stratégies
artistiques qui supposent pour la plupart une intervention - une réaction
- du spectateur. Ces oeuvres ne demandent donc pas à être isolées.
Elles vivent du contact avec les spectateurs comme du contact avec d'autres oeuvres
interactives.
L'enjeu est d'autant plus important que se mêlent des travaux vieux d'une
vingtaine d'années et des oeuvres de jeunes artistes.
Seuls travaux isolés, Couch, de l'artiste et psychanalyste Hanspeter
Amman, qui montre l'inacceptable étreinte de l'analyste et de son patient
sur un divan, et Psyroom, de Gianni Motti. Là, un téléphone
permet d'entrer en contact avec l'artiste, à Genève, et de se confier à lui
comme à un vrai thérapeute. Sans cette action du visiteur, l'oeuvre
reste creuse.
Elisabeth Chardon