Auto Reverse 2


 

"A Grenoble trois jeunes artistes suisses s'allongent sur le divan"
V Magazine, supplément du quotidien Le Nouveau Quotidien, Genève, 2 août 1996, p.33

«Auto reverse 2» ne se contente pas d'asseoir l'art contemporain sur le divan parfois inconfortable de la psychanalyse. L'exposition grenobloise entend plutôt comparer une production essentiellement filmique des années 60-70 (Bruce Nauman ou Dan Graham notamment) et celle de la scène artistique contemporaine.
Dès les années 60, la caméra vidéo allie au plaisir narcissique l'organe fantasmatique de la surveillance (voir sans être vu). Elle met en images les troubles liés à l'identité et à l'altérité et sera dès lors rapidement utilisée à des fins thérapeutiques.
Les pionniers du genre, généralement regroupés sous l'étiquette du Body Art, prenaient leur personnalité pour premier sujet d'analyse (les chutes répétées du Néerlandais Bas Jan Ader ou les performances violentes et érotiques de Vito Acconci). Les artistes actuels paraissent animés d'une motivation identique quoique moins douloureuse.
Parmi les 32 créateurs invités au Magasin, trois Genevois: Yan Duyvendak, Daniela Pellaud et Gianni Motti proposent autant de manières d'interpréter vidéo et performance sous l'égide de la psychanalyse.
A l'action filmée de Yan Duyvendak chantant «J'aurais voulu être un artiste» semble répondre, sur un fondu-enchaîné de corps morcelés, la berceuse languissante de Kristin Oppenheim.
A quelques exceptions près, la pertinence du propos psychanalytique parait néanmoins douteuse. Les pièces dites historiques - des moniteurs simplement posés à terre - restent incontournables. Mais il n'en va pas toujours ainsi de la production actuelle, qui abuse des gros moyens (écrans géants et occupation maximale de l'espace) et pêche par manque de distance. Les dessins réalisés sous hypnose par Daniela Pellaud n'offrent guère d'autre intérêt, tandis qu'on en est encore à chercher ce qui motive les vraies-fausses séances hypnotiques des soeurs Wilson. A l'inverse, l'exposition reprend de la hauteur avec le cadre aseptisé du «Psy Room» de Gianni Motti, qui offre au spectateur de se révéler devant l'artiste-thérapeute. Un pas plus loin, les ambiances meublées de Dominique Gonzalez-Foerster l'invitent à être l'acteur d'une fiction mémorielle...
Les 32 travaux d'artistes correspondent à presque autant d'heures de film, les bandes tournant toutes en continu. L'exposition, qui ne se veut pas exhaustive, force par défaut à une visite fragmentée. Mais à travers cette indigestion sonore et visuelle et au-delà de la problématique choisie, le Magasin a le mérite de pointer juste. Les premières fascinations expérimentales passées, la généralisation de cette pratique simple et économique aura fait de la vidéo un jalon quasi obligé sur le parcours de l'artiste. Mais ce média, hybride de la télévision et du cinéma, n'a visiblement pas encore trouvé les moyens d'affirmer sa supériorité et sa spécificité.

Emmanuel Grandjean